Au Québec, dans plusieurs communautés autochtones avant la colonisation, chez certains clans matrilinéaires, un.e enfant qui naissait représentait une responsabilité pour toustes. C’était aussi bien le travail de celle qui l’avait mise au monde que des membres de sa communauté de l’élever, de veiller à son bien-être. Oncles et tantes participaient à son éducation et le ou la consolaient lorsqu’ielle avait mal. La communauté participait activement à son développement et ce nouvel être était conçu comme un chaînon de cette communauté, comme un.e individu.e appartenant à un tout plus grand.
Quand je pense à cette réalité passée, je ne peux m’empêcher de me demander : n’est-ce pas beaucoup plus logique de faire les choses ainsi? Après tout, ça prend plus qu’une personne pour élever des enfants, non?
Mais, historiquement, plus on avance dans le temps et dans l’industrialisation, plus on s’éloigne de cette façon de faire. On force les communautés autochtones à intégrer le modèle colonial. Les femmes et les mères sont celles qui prennent soin des autres, point. En fait, les identités de mère et de femme sont quasiment indissociables. Pour les femmes qui ont très difficilement accès à la propriété et qui ne peuvent accumuler des biens (sauf exception) dans un système capitaliste, être en relation avec des hommes qui, eux, ont accès au marché du travail, est pour elles une question de survie. Le mariage et la procréation sont pratiquement un passage obligé. Elles ne peuvent se refuser à leur mari et n’ont pas accès à une méthode de contraception efficace. On compte sur elles pour transmettre aux enfants la morale catholique chez les francophones et pour faire de leurs fils des citoyens droits. Elles n’ont pas la garde légale de leurs enfants. C’est le père qui incarne l’autorité familiale devant la loi (jusqu’en 1977) et qui donne son nom aux enfants, effaçant sur papier l’existence de celles qui les ont portés. Cette contradiction ne vous dit-elle pas quelque chose? N’est-elle pas actuelle? Demander aux femmes de prendre soin, d’éduquer, tout en refusant de leur donner l’autorité et la reconnaissance qu’elles méritent, ça ne vous rappelle pas notre époque?
Le double standard concernant la parentalité dans nos sociétés me donne envie de hurler à chaque fois que j’y pense. Ça fait longtemps qu’on permet aux pères d’être absents en toute impunité alors qu’on exige des femmes qu’elles restent. Tellement d’hommes célèbres, d’artistes connus, de musiciens adulés ont été des pères médiocres. Tout le monde a dit qu’il fallait séparer l’homme de l’oeuvre et on a passé à autre chose. D’un autre côté, tant de femmes ont renoncé à leur carrière et à leur vie pour leurs enfants, car il fallait bien que quelqu’une se sacrifie. Et celles qui ont fait l’inverse ont été reléguées au rang des sorcières pour l’éternité. On n’a jamais pardonné à Suzanne Meloche de ne pas avoir été faite pour la maternité, mais tout le monde s’en fiche bien que Picasso ait abandonné les unes à la suite des autres ses compagnes mineures avec leur progéniture. Les récits de belles-mères mangeuses d’enfants ou de mères-sorcières qui abandonnent leurs petit.e.s dans les bois pullulent dans nos imaginaires collectifs, alors que les histoires bien réelles de pères immondes sont rapidement oubliées. Les standards de la maternité sont incroyablement élevés tandis que les pères s’en tirent très bien sous le seuil minimum.
Il y a quelque chose de véritablement pervers dans cette façon qu’a notre société de montrer la maternité aux femmes comme l’étape ultime qui fera d’elles de « vraies » femmes, tout en méprisant leurs vergetures, leurs seins qui ont allaité, leur vagin1 recousu, etc. C’est profondément injuste de considérer la procréation comme une option par défaut dans la vie des personnes qui ont un utérus tout en les jugeant constamment dans les choix qu’ielles font pour leurs enfants —et de percevoir celles qui ont choisi de ne pas procréer comme des femmes brisées.
Pour la fête des Mères, je propose qu’on célèbre la maternité sans bullshit. J’aimerais qu’on libère la parole de celles qui regrettent d’être mères, de celles qui n’ont pas été accompagnées par leur conjoint, de celles qui ont été des mères imparfaites. J’aimerais qu’on cesse de considérer la mère comme le parent par défaut et qu’on ait accès à des récits diversifiés des expériences de la maternité. Ce serait chouette qu’on garde nos conseils non sollicités pour nous et qu’on laisse moins les mères seules avec leurs troubles en créant des places en garderies, par exemple. Je voudrais enfin qu’on considère légitime le non-désir d’enfants des femmes. Et qu’on leur fiche la paix, aussi.
1.Évidemment, toutes les femmes ne possèdent pas de vagin et certains hommes en ont un.