Le Provigo de la rue Belvédère, dans l’arrondissement du Mont-Bellevue, annonçait dernièrement qu’il fermait ses portes pour ouvrir un nouveau magasin dans la fameuse Cité du Parc. Évidemment, tout le monde est pour le développement, mais encore faut-il que ce développement soit l’équivalent de « progrès ».
Le chroniqueur de La Tribune, Luc Larochelle, ne semble malheureusement pas faire la différence entre les deux. Il semble en effet vouer un culte au développement – un phénomène qu’il peine à définir, mais qui semble néanmoins pour lui représenter un intérêt justement à cause de son côté mystérieux, voire mystique : « […] [L]e développement bouge constamment », écrivait-il dans sa chronique du 22 juin dernier, « [i]l vient vers nous, puis il s’en va ailleurs. »
Dans son article, M. Larochelle cherchait essentiellement à assimiler l’insatisfaction de centaines de citoyens devant la fermeture de leur épicerie à une « conception théorique ou idéologique de la vie de quartier. » Peu importe que plus de 600 d’entre eux aient signé une pétition, les « portefeuilles parlent autrement plus fort », nous apprend le chroniqueur, dans sa résignation tranquille. Et bien sûr, oubliez le conseil municipal, cet organe élu supposé représenter la volonté des citoyens ; il est, selon Larochelle, complètement impuissant.
Les voies impénétrables du progrès
Pour M. Larochelle, la main invisible du marché serait ici à l’œuvre. Les lois implacables de l’économie auraient poussé Provigo à déménager sous d’autres cieux plus cléments. Après tout, souligne-t-il, l’arrondissement du Mont-Bellevue a une croissance démographique (2,4 %) en dessous de la moyenne sherbrookoise (6,9 %) – en oubliant évidemment de mentionner que l’arrondissement Jacques-Cartier, où se situera bientôt le Provigo, se place aussi en dessous de la sacro-sainte moyenne (5,5 %)! En fait, si l’argument démographique était si déterminant, le supermarché devrait déménager à Fleurimont (7 %) ou, bien sûr, à Rock Forest (14,5 %).
M. Larochelle ne s’arrête toutefois pas là dans son analyse. Il nous dit aussi que l’arrondissement a perdu 445 familles entre 2006 et 2011. C’est ce qui expliquerait, selon lui, la « décision à court terme » de Provigo. Il faudra évidemment que M. Larochelle nous explique depuis quand seules les familles font leur épicerie. N’y a–t-il dans aussi dans son rapport comparatif des recensements 2006-2011 une indication que la population de l’arrondissement est vieillissante ? Ne croit-il pas que ce segment de la population est plus susceptible d’utiliser les commerces de proximité? Par ailleurs, M. Larochelle est-il si certain que Provigo ne déménage pas simplement son épicerie parce qu’il y est forcé par la maison mère, soucieuse que ses clients magasinent dans des locaux tout neufs ?
À vrai dire, il est au fond futile de tenter de contester l’« analyse » statistique de M. Larochelle puisque même lui ne semble pas y croire. Il débute en effet son article du 22 juin en y allant d’une prédiction sur l’ouverture prochaine d’une méga-épicerie à Ascot ou, à tout le moins, d’un agrandissement du Métro actuel. Le propriétaire du Métro lui-même, informé par Larochelle de cette prédiction, est perplexe : « je ne saurais [sic] pas aussi catégorique que vous », a-t-il répondu. Pourtant, dans son accès de bipolarité, Larochelle y croit ! L’arrondissement est saigné de ses familles, mais il garde espoir puisque l’autoroute s’en vient ! Sans surprise, les voies du progrès soient si impénétrables pour le chroniqueur qu’elles mènent à une chose et son contraire.
Impuissant, vraiment ?
M. Larochelle nous dit que les citoyens réclamant une intervention des autorités municipales sont naïfs de croire encore au Père Noël. « Les décideurs municipaux sont des acteurs de soutien, pas des secouristes », tranche-t-il. Le conseiller municipal de l’arrondissement Mont-Bellevue, M. Pierre Boisvert, servait aussi le même discours à ses citoyens au Téléjournal Estrie, alors qu’il se disait impuissant devant cette « décision corporative ».
Or, même s’il est vrai que le Conseil municipal n’a pas l’habitude de s’immiscer dans les décisions des entreprises sherbrookoises, il est ridicule de prétendre que ses membres ne sont que des acteurs de soutien. La Ville de Sherbrooke (Messieurs Larochelle et Boisvert devraient le savoir) peut orienter le développement sur son territoire. La séparation entre le privé et le public, à laquelle Luc Larochelle semble croire dur comme fer, est en grande partie une illusion, comme son exemple de l’autoroute 410 le montre clairement : après tout, le trajet de la 410 n’a-t-il pas été décidé par des promoteurs clairvoyants? La permission de construire un centre d’achat à la Cité du Parc a-t-elle été obtenue auprès de la chambre de commerce ? Et l’Hôtel Times profite-t-il d’un congé de taxe alloué par la société Jean Perreault Inc. ? Et le centre de foires, et la promenade du lac, et la rénovation de la gare, sont-ce là d’autres exemples de l’impuissance municipale?
Je vais aussi vous faire une prédiction, M. Larochelle : si la Ville utilisait tous ses pouvoirs et facilitait l’achat, par une entreprise d’économie sociale, d’un bâtiment qui abriterait une épicerie de quartier (où les citoyens pourraient aller y récupérer des paniers de légumes d’agriculteurs de la région par exemple), les gens se rendraient dans ce commerce qui leur ressemblerait. Les décisions s’y prendraient d’une manière démocratique et ne seraient pas dictées par le CA d’une entreprise cotée à la Bourse de Toronto. La solidarité et l’ingéniosité bougent, elles aussi, constamment. Elle s’en va ailleurs parfois… il est grand temps qu’elle revienne !