La gauche dans l’ornière

Date : 1 juin 2024
| Chroniqueur.es : Sylvain Vigier
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Pour toute personne se reconnaissant de « la gauche » et qui souhaite construire un monde basé sur la justice sociale et environnementale, les nouvelles des dernières semaines dans les camps politiques à gauche ne prêtent pas à l’enthousiasme et à la confiance pour les prochaines échéances électorales.

Au niveau national d’abord, la démission de la toute fraichement élue co-porte-parole femme de Québec solidaire, Émilise Lessard-Thérien, a lancé un froid et un début de tempête au sein des instances et des membres du parti provincial. Dans sa lettre de démission, Émilise met en cause directement Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole masculin de Québec solidaire et chef parlementaire du parti à l’Assemblée nationale, en particulier pour son contrôle sur le message politique porté par Québec solidaire. Elle déplorait ne pouvoir s’exprimer et assumer librement son mandat de co-porte-parole à cause des « habituels compromis, les calculs d’image et les indicateurs de votes ». Pour un parti organisé comme Québec solidaire, dont les membres sont souverains vis-à-vis de l’organisation et des leaders politiques (pas de chef.fes, mais des co-porte-parole) les accusations d’Émilise montrent une rupture à l’esprit et à l’organisation de ce parti depuis sa fondation en 2006. La réponse de Gabriel Nadeau-Dubois à ces mises en causes a échauffé un peu plus les esprits : faire le choix du paragrammatisme pour former le prochain gouvernement, plutôt que de maintenir une forme d’orthodoxie ou d’idéalisme qui mènerait selon lui à végéter dans l’opposition. Il faut être prudent à ce stade dans l’interprétation du « paragrammatisme » de GND, et éviter de sauter trop rapidement aux conclusions de « recentrage » et de « normalisation » comme l’ont trop largement, et avec gourmandise, mis en scène tous les commentateurs politiques des grands médias. Cependant, de nombreux Parti socialiste en Europe ont perdu leurs âmes et leurs électeurs dans ces formes calculatrices de recentrage. Au final, il reste pour le simple sympathisant de gauche une dynamique politique complètement détruite et une perspective plus que maussade pour la prochaine élection face à un PQ en force dans les sondages et à une CAQ qu’on ne peut sous-estimer. Le prochain Conseil national de QS doit impérativement reconstruire un message politique fédérateur et dessiner une trajectoire cohérente et enthousiasmante comme le fût la compagne de 2018.

Plus proche de chez nous, la mairesse Evelyne Beaudin annonçait ne pas se présenter pour un 2e mandat à la prochaine élection municipale à Sherbrooke, et démissionnait ainsi de son poste de cheffe du parti de Sherbrooke citoyen. Cette déclaration inattendue rend compte de l’impasse dans laquelle Evelyne Beaudin s’est enfermée toute seule. Car si l’arrivée de Sherbrooke Citoyen à l’Hôtel de Ville a été une vraie conquête politique pour la gauche à Sherbrooke, la mairesse Beaudin a clairement raté son mandat. En faisant campagne sur la nécessité de transparence et la volonté d’instaurer la participation citoyenne, Evelyne Beaudin s’est rendue coupable d’une pratique politique et d’une gestion autoritaire et bornée. L’échec est d’autant plus cruel que les élu.e.s de Sherbrooke citoyen ont tenté de mettre en œuvre leur programme : nouvelle dynamique de transport actif et en commun ; mise en place d’un « Plan nature » ambitieux. Mais la mairesse en se mettant tout le monde à dos a fini par se faire montrer la porte par les propres instances directrices de son parti. En face, une opposition réactionnaire, et parfois violente, se met en place. L’éviction d’Évelyne Beaudin devenait nécessaire pour tenter de sauver ce qui avait été construit et espérer pouvoir présenter un bilan positif du mandat. Maintenant, Sherbrooke citoyen doit panser les plaies avec la population qui pouvait se sentir en droit d’obtenir plus d’écoute et de considération que la gestion tranchante et impérieuse de la mairesse Beaudin. À nouveau, la politique reste une histoire de message et de narration, et le temps est compté pour reconstruire un lien de confiance avec ceux et celles qui ont permis le succès électoral de Sherbrooke Citoyen. La prochaine personne qui sera à la tête du parti devra incarner la volonté et la capacité d’une politique sociale ambitieuse et rassembleuse, et la situation actuelle demande plus qu’un simple « lubrifiant social ».

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