La francisation et l’art révélateur de Félix Rose

Date : 1 décembre 2024
| Chroniqueur.es : Pierre Jasmin
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L’épais dossier de la francisation, obscurci par des propagandes subventionnées par de riches anglophones (Université McGill, bilinguisme fédéral, The Gazette, etc.) est mieux compris en remontant à 1966, ce à quoi s’attelle avec une maîtrise inégalable le documentariste Félix Rose.

Problèmes actuels

Des professeurs en francisation manifestent à Granby et Québec contre les coupures du gouvernement Legault, qui réduit drastiquement les classes disponibles. Bien que le premier ministre ait mis de l’avant une publicité sur l’accueil des immigrants, ses critiques répétées de Trudeau sur le manque de fonds deviennent excessives. Comment le ministre Roberge, qu’on félicite de consacrer $ 2,5 millions dans une publicité qui invite les Québécois à exiger le français, tant au travail que dans les commerces et au cinéma, laisse-t-il Bernard Drainville tirer ainsi dans le pied du travail accompli du gouvernement influencé par l’opposition non seulement de Québec solidaire, du PQ, mais aussi de la députée libérale Marwah Rizky ?

Radio-Canada Estrie (Yannick Cournoyer) nous informait le 21 octobre que le ministre de l’Éducation amputait le Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke d’une trentaine d’enseignants, en réduisant le nombre de classes de francisation de 28 à 5, qui ne pourront desservir à partir du 1er novembre que 85 de ses quatre-cents étudiantEs. Une trentaine d’enseignants sont mis à pied, limitant ainsi les chances d’intégration des nouveaux arrivants en francisation.

L’art de Félix Rose

Avec l’exception éclatante de la politique menée par Camille Laurin et sa loi 101 (Charte de la langue française), parfois contre les réticences de René Lévesque, Félix Rose dans son nouveau film chez Picbois Productions encouragées par MAISON 4:3, nous ramène au cœur du problème de la francisation, à la rébellion menée par le courageux et méconnu Raymond Lemieux, au prix de sa vie familiale, perturbée par les accusations de « sédition » passibles d’emprisonnement à vie lancées contre lui.

Le film présente des images inédites du voyage de De Gaulle à Montréal, réhabilitant son fameux discours de 1967 avec une bande sonore clarifiée et une synchronisation parfaite. Rappelons que cette visite du général à l’Expo 67 allait déclencher son éviction du Canada vers la France et une sordide campagne anglophone mondiale (É.-U., Grande-Bretagne) contre la sénilité du général, mais aussi un chemin de Damas pour René Lévesque en route pour les élections du Parti Québécois en 1970.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner le courage, mis en valeur par le film, du chargé de cours marxiste de McGill, Stanley Grey, né dans un quartier pauvre de l’est de Montréal, renvoyé par les administrateurs voulant juguler le mouvement démocratique appuyé par une grande part de leurs propres étudiants en faveur d’un McGill sinon français, du moins plus accueillant pour les nouveaux Cégépiens francophones.

« Courez voir le film »

Il est étrange que Félix Rose ait choisi le titre « la bataille de Saint-Léonard » pour un film aussi lyrique mettant aux prises non pas un, mais deux héros ayant chacun foré le destin de leurs communautés. Le premier, qu’on voit à gauche sur l’affiche, est le grand bâtisseur de Saint-Léonard, l’immigrant italien Mario Barone dont on suit le prospère parcours de constructeur, depuis son exil d’Italie et son premier travail dans un dépotoir – parce qu’il ne parlait ni français ni anglais. Bravo à la solidarité de Rose envers ce pauvre père de famille qui après son travail, refusait de prendre l’autobus pour éviter les regards de passagers ou leurs échanges sur « le maudit macaroni puant » : il préférait marcher une heure dans la neige et le froid si pénible pour l’Italien élevé dans un meilleur climat. L’art de Félix Rose nous permet de comprendre la fierté de celui qui cherchait à élever ses enfants pour un meilleur avenir, en faisant de douteux choix réclamant la liberté de construire une école bilingue, ses orientations politiques étant dévoyées par Pierre-Elliott Trudeau qui le recevait volontiers, irrespectueux de la juridiction exclusive du Québec en éducation (nihil novi sub sole).

En fin de compte, « La bataille de Saint-Léonard » nous rappelle que derrière chaque lutte pour l’identité linguistique se cachent des histoires profondément humaines, où la quête de reconnaissance et d’appartenance façonne des trajectoires de vie aussi riches que complexes.

 

 

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