Après 9 semaines en salle pour un documentaire nécessaire, le vendredi 10 janvier, à 22h30, le documentaire de Félix Rose (Le dernier felquiste, Les Rose, etc.) prend un second souffle sur TVA. À ne pas manquer!
Une identité linguistique à confirmer.
L’identité, c’est par ce mot que tout commence. Savoir qui nous sommes, pour savoir où l’on va. Cette question identitaire anime très souvent le regard pertinent du documentariste Félix Rose.
Après nous avoir entrainés dans l’un des meilleurs documentaires sur la Crise d’octobre (1970), en abordant le parcours de sa famille, de Paul à Jacques, en passant par la mère Rose Rose. Le réalisateur nous captive, cette fois-ci, avec la question de l’identité linguistique québécoise avec La bataille de Saint-Léonard, en mettant en avant les visages oubliés de l’histoire de cette bataille qui a conduit à la loi 101 : Raymond Lemieux et Mario Barone.
Tout le monde sait comment cela a commencé, personne ne sait comment cela va s’arrêter, dans ce puzzle du conflit linguistique entre deux communautés, avec un conséquent travail de recherche d’archives, Felix nous rappelle qu’une lutte d’idées commence déjà au niveau social avec les gens d’en bas. Des individus qui ne sont pas quelconques et qui sont capables de porter le monde sur leurs épaules, en espérant le voir le mieux survenir.
Vous pouvez retrouver la critique de Pierre Jasmin lors de la sortie cinéma en 2024.
Entrée Libre commence son année avec l’entrevue du réalisateur, scénariste et producteur Félix Rose pour la diffusion de son dernier documentaire :
Souley Keïta : Premières images, première question, à travers le récit que tu nous livres à quel moment tu t’es dit que les émeutes flirtent vers un conflit de grande envergure, dans un conflit où souvent les protagonistes sont taxés de dangereux ?
Félix Rose : Lorsque j’ai commencé ma recherche pour ce film, ce que j’avais trouvé intéressant, c’était le crescendo. Lorsque cela débute, on voit cela plus comme une petite dispute pacifique et il va y avoir une montée. Le premier tiers du film est sur la victoire contre l’unilinguisme dans la commission scolaire, il y a quelques manifestations, l’occupation de l’école, mais il y a quand même ce côté festif où les gens font la fête en dehors. On a à ce moment-là, des discussions qui sont très calmes. Pourtant, après quelque temps, cela dégénère. Pour ma part, je pense que le point de bascule dans le film, c’est lorsque le décès de Daniel Johnson surprend tout le monde (premier ministre (1966-1968) et figure de L’Union Nationale). C’était un premier ministre assez conciliant avec les deux camps. Il donnait cette impression aux deux côtés qu’il allait être de leur bord. Ce côté flou lui permettait d’apaiser la crise. Après son décès, son remplaçant est Jean-Jacques Bertrand (1968-1970), il change la dynamique du conflit, car il veut régler cela vite. Au lieu de se donner un temps de réflexion, il va trancher avec une loi impopulaire (Loi 63), en donnant raison à la communauté italienne avec le libre-choix linguistique. Avec cela, il pousse la communauté francophone contre la communauté d’origine italienne. La tension monte et à ce moment-là, tout dégénère avec de nombreuses émeutes et cela jusqu’au Parlement du Québec.
C’est le point de bascule dans ce conflit.
Je ne raconte jamais l’histoire des politiciens, lorsqu’on parle des figures de tel mouvement, on parle des politiciens, des artistes. Je viens d’une famille de militants et je m’intéresse beaucoup au militantisme, parce que souvent ces personnes de la classe ouvrière, de la classe agricole, qui ne sont pas dans l’organe politique, mais dans des mouvements sociaux, sont souvent les grands oubliés de l’Histoire. Lorsqu’on parle des mérites, on les donne souvent à la classe politique comme Camille Laurin qui a tous les mérites avec la loi 101, je n’enlève rien à Camille Laurin, mais les politiciens sont souvent à réaction. Il n’y a pas de loi 101 sans l’action des débats entre Raymond Lemieux et Mario Barone. Les grandes actions viennent d’en bas et il faut parfois revenir à la genèse. Raymond Lemieux est décédé dans l’oubli et pourtant durant la crise il a été un des visages les plus diffusés.
Souley Keïta : L’ignorance et la peur, on se retrouve avec des humiliations vécues par les nouveaux arrivants italiens, humiliations que les Québécois ont vécues par le passé vis-à-vis des anglophones, est-ce qu’on s’attaque souvent à celui que l’on juge inférieur et non pas à celui d’au-dessus qui établit les règles (lois)?
Félix Rose : C’est complexe ce rapport entre les deux communautés. Il y a eu sans doute des formes de racisme des deux côtés, pourtant au départ, il y avait beaucoup de points de ressemblance, la même situation de précarité, voire plus pauvre, pour la communauté italienne. Au niveau des valeurs, ils étaient raccord, que ce soit avec la religion catholique ou avec les relations familiales. Avant cette crise, on me disait qu’il y avait beaucoup de points de rencontre entre les deux communautés. Les enfants jouaient ensemble. La crise a détérioré tout cela.
Le seul point de différence est au niveau de la langue, les Italiens arrivent au Québec, ils ont connu la Seconde Guerre mondiale, ils ont fui un pays qui était répressif et on leur vend le rêve américain. Ils arrivent au Canada et ils ne savent pas que le Québec est francophone. Ils se retrouvent dans une conjonction qu’ils ne comprennent pas. Ils observent que la langue d’ascension est l’anglais, ils ne sont pas contre le français et l’apprennent (les écoles bilingues). Pour avoir plus de possibilités, il est important pour les Italiens, d’apprendre les deux langues. Il y a eu aussi beaucoup de francophones qui voulaient envoyer leurs enfants dans des écoles anglaises ou bilingues.
Lorsqu’il y a eu le programme des écoles bilingues, les francophones ont réalisé que leurs enfants se faisaient angliciser. On peut comprendre la crainte des francophones qui se disent que si tous les nouveaux arrivants choisissent l’anglais, le français risque de reculer.
La crise a fait du mal aux deux communautés qui ont du mal à se considérer durant de nombreuses années. Cela a pris énormément de temps pour reconstruire le pont entre les deux camps.
On peut comprendre les deux positions. C’est pour cela qu’il était crucial de mettre en avant le regard des deux familles dans le film, qui sont de bonne foi et qui ont juste vu une énorme incompréhension leur tomber dessus.
Je veux montrer que dans cette crise, les politiciens ont leur part de responsabilité dans l’escalade des évènements et que c’est une crise qui aurait pu se régler avant d’atteindre un certain point.
L’antagoniste principal est le gouvernement de l’époque.
Souley Keïta : Tu nous mentionnes auparavant que l’arrivée du premier ministre Jean-Jacques Bertrand (1968-1970) marque le point de non-retour. Est-ce que l’arrivée du président français Charles de Gaulle le 24 juillet 1967 n’est pas également un élément déclencheur d’une poussée nationaliste?
Félix Rose : C’est intéressant, car lorsqu’on évoque de Gaulle, il est passé par Saint-Léonard et un des enfants de la famille Barone l’avait vu passé. L’interprétation pour la plupart des Italiens de Saint-Léonard, c’est que les problèmes commenceraient à cause de la venue de Charles de Gaulle. Il n’a rien inventé, il a compris le nationalisme québécois, qui était déjà en pleine expansion. Ce personnage historique qui a aidé à la libération de la France et qui dit « je vous comprends » en encourageant l’indépendance du Québec a sans doute mis de l’huile sur le feu. Cela a galvanisé les francophones et le nationalisme québécois. Après l’arrivée de Charles de Gaulle, plusieurs mouvements, d’abord pacifistes puis violents, se sont enchaînés entre 1967 et 1969. Ça coïncide.
Par la suite, le gouvernement a fait des lois répressives contre l’augmentation des violences. Il y a eu une radicalisation, le FLQ, des émeutes, car malheureusement c’était la seule manière de se faire entendre.
Il suffit de voir des gens pacifiques comme Raymond Lemieux qui a eu un procès pour sédition.
Souley Keïta : La difficulté du montage, à travers une œuvre cinématographique de 108 minutes, avec un impressionnant travail avec de nombreuses archives, comment opère-t-on le virage télévisuel lorsqu’on doit enlever plus de 30 minutes? On sent que les passages politiques ont été raccourcis, notamment la construction des relations politiques pour Barone ou le soutien de Lemieux vis-à-vis du siège des étudiants.
Félix Rose : C’est difficile, effectivement. C’est un gros travail de réflexion, car tu ne veux pas perdre le sens du film. C’est un énorme enjeu. On a coupé beaucoup dans la poésie. Durant les 6 mois de montage, Michel Giroux, le monteur, nous avons cherché dans les milliers d’heures d’archives.
Michel est un poète, on avait un rythme plus de cinéma, un peu plus lent et avec des moments plus poétiques. Il est certain que pour la télévision, le rythme est autre, plus effréné, et on a coupé ce côté poétique. On a resserré le récit. On a pris la décision de prendre plus l’angle des familles Lemieux et Barone, je ne sais pas si c’est la meilleure solution, mais la trame politique est moins présente comme avec le décès de Johnson.
Souley Keïta : Je voudrais m’attarder à cette question de la langue dans notre actualité. Qu’est-ce qui a changé selon toi? Sommes-nous toujours dans une situation d’incohérence linguistique?
Félix Rose : Je trouve que la loi 101 a été charcutée par les gouvernements qui ont suivi. La loi n’a pas arrêté l’anglicisation, elle a simplement ralenti. L’anglicisation est palpable dans l’ouest de Montréal et oui, le combat de Saint-Léonard est toujours d’actualité, 50 ans plus tard. Beaucoup se battent pour le Cégep français, car c’est une période de la vie importante, car on se construit.
Oui, on a la loi 96, mais certaines personnes trouvent que ça ne va pas assez loin, d’autres trouvent qu’elle va trop loin.
Après comme indépendantiste, je trouve que la meilleure façon de régler le problème de langue est l’indépendance du Québec.
Il y a des personnes qui sont fières d’être québécoises, fières de mettre en avant la culture, d’autres le sont moins. Même dans les écoles, ce ne sont pas tous les professeurs qui sont allumés lorsqu’on évoque la culture québécoise. Je pense que cela amène les jeunes à avoir moins d’intérêt pour la culture.
Je pense que la fierté se transmet, on reproche aux nouveaux arrivants de ne pas s’intéresser à la culture québécoise, mais si nous-mêmes, nous avons un désintérêt pour la culture, les Québécois qui sont nés ici, comment peut-on la transmettre aux gens qui arrivent?