Cette fleur d’un rouge ardent qui avait attiré mon regard lorsque que je marchais vers mon école avait envahi mon âme et pendant que j’essayais de la reproduire sur une feuille blanche, j’étais pris par le même émerveillement que j’avais pour les oiseaux, les papillons et pour toutes sortes de bêtes sauvages qui habitaient dans la forêt aux alentours de ma maison.
Cependant, ce qui est survenu par la suite m’a fait perdre ma candeur d’enfant: j’ai entendu les pas de ma prof se rapprochant de mon pupitre. Puis elle rapprocha son visage de mon œuvre tout en me disant: «Cesar, dessiner des fleurs c’est pour les filles.» Sa voix moqueuse m’a ébranlé comme jamais auparavant. Et dans mon bouleversement, j’ai compris que j’avais fait quelque chose d’interdit aux garçons.
Des élèves voisins, entendant son reproche, commencèrent à rire de moi en murmurant: «Tu aimes les fleurs, tu es un fifi!» À ce moment-là, j’étais déjà paralysé par une honte viscérale de mon âme sensible dans un moment qui allait rester gravé dans mon être jusqu’à aujourd’hui.
C’était justement cette fleur si belle, d’une allure voluptueuse qui allait déclencher un conflit sans précédent dans mon cœur d’enfant, me lançant dans le doute de ma propre valeur, ébranlant ma confiance.
Et bien avant que cet incident ne se produise à l’école, je n’aimais pas l’idée de devenir un homme fort et dominateur, qui ne pleure pas, qui ne plie pas face aux adversités de la vie.
En vérité, j’ai toujours ressenti dans mon for intérieur que ma nature était douce et contemplative. Depuis ma plus tendre enfance, je songeais à m’épanouir dans ma sensibilité, soit en devenant un peintre, un écrivain ou un chanteur.
Malgré toutes ces certitudes que j’avais sur ma nature la plus profonde, je n’ai pas eu assez de courage pour l’assumer face à ma prof et mes collègues, car j’ai eu peur d’être catégorisé comme un «garçon efféminé» et ainsi être rejeté par ceux que j’aimais.
Hélas, je n’ai pas pu non plus empêcher un conflit déchirant de s’installer au fond de moi. Je fais référence à un tiraillement entre ma sensibilité à fleur de peau et les attentes de toutes les figures d’autorité autour de moi qui voulaient me mettre dans ce moule d’une virilité qui prônait qu’un vrai homme doit se couper de ses émotions, de sa sensibilité.
Et vis-à-vis cette tension-là, je me suis retrouvé à refouler, voire rejeter mon âme sensible pour essayer de correspondre à ces bastions de masculinité, voués à l’effondrement, je l’espère.
Je dois dire qu’il m’a fallu trente-neuf ans pour, à travers ce texte, assumer sans aucune honte ma sensibilité, ma soi-disant part de féminité comme ma plus grande richesse.