Une belle unité de mesure nous permet d’envisager l’austérité sous l’angle des impacts pour les femmes. Elle s’appelle l’ADS, l’Analyse Différenciée selon les Sexes. Sa définition: «elle vise à discerner de façon préventive les effets distincts sur les femmes et les hommes que pourra avoir l’adoption d’un projet, sur la base des réalités et des besoins différenciés des femmes et des hommes.» C’est à partir de cette analyse qu’il nous est possible de mieux comprendre l’impact de l’austérité et des compressions budgétaires sur les femmes.
Concernant l’austérité, le sujet est déjà documenté dans plusieurs pays européens, qui peinent à se relever de la crise économique de 2008. En Grèce, au Portugal, en France, en Angleterre, les compressions dans les budgets publics ont eu pour effet d’accroître les inégalités, le chômage des femmes, la féminisation de la pauvreté, la précarisation de l’emploi, en particulier celui des femmes.
Au Québec, les femmes sont majoritaires (75%) dans les secteurs de la santé et de l’éducation, l’administration publique, tous des secteurs menacés de compressions. Les femmes seront nombreuses à perdre leur emploi. De plus, les femmes occupent 70% des emplois à temps partiel et 60% des emplois au salaire minimum, ce qui n’augure rien de bon. Pour leur retraite, elles ont des montants de pension inférieurs à ceux des hommes, souvent très faibles du fait de carrières interrompues, de périodes à temps partiel et de bas salaires. Au Québec, le revenu total annuel d’une femme de 65 ans et plus est de seulement 22 522$, alors que celui des hommes pour le même âge s’élève à 32 667$. Notons aussi qu’en 2009, les femmes admissibles au Régime de rentes du Québec recevaient une rente de 37% inférieure à celle des hommes.
Les compressions dans les services auront aussi pour effet d’accroître la responsabilité individuelle des femmes dans le défi encore féminin de la conciliation famille, études, travail. L’augmentation des coûts en CPE, la privatisation de certains services, la suppression des compensations financières pour les personnes handicapées au travail, entre autres exemples: ce sont les femmes qui vont principalement en subir les contrecoups. Celles-ci sont aussi les principales utilisatrices du système de santé: pour elles-mêmes, entre autres à cause de la contraception, de la maternité et parce qu’elles vivent plus longtemps, pour leurs enfants ou comme accompagnantes des aîné·e·s. Ce sont elles qui vont absorber les multitâches et, parce qu’elles sont généralement plus pauvres que les hommes, elles seront davantage touchées par les compressions budgétaires et les hausses de tarifs.
En contexte économique difficile, il y a augmentation du taux de violence conjugale. Les chiffres en témoignent. À cause du manque de logements sociaux et du manque de soutien financier, certaines femmes sentiront probablement plus de pression à rester ou retourner avec un conjoint violent.
En éducation, les femmes commençaient à bénéficier des efforts qui ont été faits au cours des dernières décennies pour améliorer leur accès à une meilleure éducation. De plus en plus nombreuses dans les universités, que va-t-il arriver alors que les coûts devraient augmenter et le nombre de cours, programmes, facultés se verront diminués? Elles sont nombreuses parmi les chargé·e·s de cours qui seront mises à pied.
Au niveau régional, il y aura perte de lieux de pouvoir avec l’abolition des conférences régionales des élus (CRÉ) et des centres locaux de développement. Les pouvoirs reposeront désormais exclusivement entre les mains des élu·e·s au niveau municipal. Au Québec, 17% des maires sont des femmes et il y a 13 femmes sur les 87 préfets (de MRC). Ce sera pour elles une bien grande responsabilité que de porter les préoccupations des femmes. D’autant plus que rien ne garantit la poursuite de la mise en application de politiques d’égalité. L’Estrie venait tout juste de faire adopter la sienne par la CRÉ à l’automne 2014, politique qui devait ensuite être adoptée dans les MRC.
La situation n’est pas très encourageante. Raison de plus pour s’informer, se regrouper et agir. Les femmes sont des actrices incontournables dans les mouvements sociaux et dans la construction d’alternatives aux politiques actuelles. Elles doivent prendre la place qui leur revient pour faire entendre leurs points de vue et leurs propositions. Les besoins du quotidien, la préoccupation pour les soins à donner aux personnes et l’importance des liens sociaux à préserver, parce qu’ils sont de plus en plus menacés du fait de la situation actuelle, prennent toute leur importance. Il y a une réelle opportunité pour que ces préoccupations — qui sont encore aujourd’hui trop souvent celles des femmes, mais qui doivent devenir celles de tous — deviennent une raison majeure de se mobiliser.
L’auteure est présidente de ConcertAction Femmes Estrie.