Une critique sans trop divulgâcher.
« L’adolescence ne laisse un bon souvenir qu’aux adultes ayant une mauvaise mémoire. » Le phrasé mordant du réalisateur François Truffaut résume à merveille cette période marquante en tout point. Il résonne également dans la thématique phare du premier long-métrage du scénariste, du réalisateur, du producteur et acteur Jean-Carl Boucher (1981, 1987, 1991 de Ricardo Trogi, Un été sans point, ni coup sûr de Francis Leclerc, Tactik, etc.).
Ces moments où rien ne se fige et où tout est à construire, voire à reconstruire. Ces moments où nous attendons de vivre. D’autres, où nous nous laissons vivre. Ces moments où nous cherchons les clés de la maturité pour ouvrir la porte de la vie. Autant de troubles, dans l’adolescence en banlieue de ces personnages, qui s’immiscent dans un film aux multiples clashs.
Le premier, notamment, entre le langage cru, véritable langage de cette adolescence et ce visuel poétique. Le deuxième, entre coups de sang et cette musique enchanteresse de Pierre-Philippe Côté, emprunt, également, d’une certaine mélancolie. Le troisième, qui prend naissance chez une bande de jeunes amis issus de la même banlieue et qui vont suivre des trajectoires bien différentes sur 7 ans.
Le jeune réalisateur manie avec une belle dextérité ce pan important d’une vie et ces passages obligés (amitié, relations amoureuses, conflits, etc.)
Cauchemar pour certains, rêve éveillé pour d’autres.
Jean-Carl Boucher a su s’entourer de personnes de confiance. Une confiance qui lui a été rendue, car ses acteurs, à l’écran, font preuve d’une envie débordante, d’une honnêteté et de justesse. Entre autres, nous pouvons apercevoir Pier-Luc Funk, Antoine Desrochers, Simon Pigeon, Maxime Desjardins-Tremblay, Karelle Tremblay, Mehdi Bousaidan ou encore Laurent-Christophe de Ruelle.
Le journal Entrée Libre s’est entretenu, lors d’un appel téléphonique très intéressant, avec le réalisateur, scénariste et producteur Jean-Carl Boucher :
Souley Keïta : Nous commençons le film avec ce refrain nostalgique et cette joie de l’enfance, est-ce que Flashwood marque la fin des illusions à l’adolescence?
Jean-Carl Boucher : Oui en partie. La plupart des acteurs et actrices dans le film sont des ami(e)s très proches. Nous avons souvent ce genre de discussions, car la plupart d’entre nous avons grandi en banlieue. Avant même d’avoir pensé à cette idée de Flashwood, les conversations qui revenaient le plus souvent nous mettaient face au fait que nous avons pu nous en sortir. Nous nous sommes retrouvaient en ville très jeune grâce au travail. Flashwood, part d’une question: qu’est-ce que nos vies auraient été dans ce décor neutre qui peut parfois donner l’impression à certaines personnes qu’il n’y aura pas de suite ? Le destin semble se dessiner d’avance pour chaque personne qui est prise dans ce décor. L’idée, pour moi, était de montrer des gens qui essayent de manipuler et de contrôler un destin déjà dessiné, mais, au final, ils se rendent compte qu’ils n’ont pas les ressources sans doute à cause de leur âge. Le film dépeint l’adolescence de 16 ans au début de la vingtaine, c’est souvent l’âge ingrat, où il est difficile de trouver notre place notamment dans un décor où l’on ne te propose pas beaucoup de solutions pour devenir quelqu’un. Même si le tableau est sombre, je pense qu’à la fin, il y a une note d’espoir, car cette époque se terminera.
Souley Keïta : La maturité ou se laisser vivre jusqu’à un certain temps. Vous amenez dans une des parties du film, le visage adulte avec ces parents. On dénote deux clivages, les adolescents qui font preuve de maturité et qui sont parés pour la vie adulte, et ceux qui sont enfermés dans leurs faux problèmes et n’ont pas les clés pour ouvrir cette porte, quelle est ta vision, à travers ton long-métrage, sur ces parents qui vont avoir un rôle prépondérant ou non ?
Jean-Carl Boucher : Je voulais amener la spectatrice, le spectateur qui se sont attachés à ce groupe d’amis, à cet gang et qui puissent voir, mais également s’attarder sur un autre personnage plus vieux qui est resté dans ce lieu. Nous l’apercevons avec Simon Pigeon, qui est patron d’une entreprise. Il apparaît un peu comme une boucle de cet adolescent qui grandit et reste dans ce lieu. Le personnage de Simon Pigeon veut que ces adolescents suivent des voies différentes.
Souley Keïta : Je parlais à travers l’article d’une musique enchanteresse. Malgré ce que l’on peut voir à l’écran, la musique joue sans cesse la balance dans ce rêve mélancolique, on y plonge indéniablement. Est-ce qu’il y a un regard sur lequel les souvenirs bons ou mauvais restent impérissables?
Pierre-Philippe « Pilou » Côté : Les souvenirs bons ou mauvais, c’est drôle parce qu’il y a des scènes dans le film avec des sonorités de rêve. On peut le voir notamment dans la scène de la forêt avec Pier-Luc Funk. Ces souvenirs sont des états d’âme, des lieux où nous pouvons retourner.
Jean-Carl Boucher : Je pense que tu as pogné la bonne osmose, le parfait entre-deux avec la mélancolie et la joie, le cauchemar et le rêve.
Souley Keïta : L’utilisation des couleurs primaires tient une place importante dans la construction de ton film. À travers trois parties, associées chacune à une couleur, il y a le ressenti que tu fais un pied de nez à l’adolescence notamment dans le fait que rien n’est figé et que ces couleurs se mélangent sans cesse.
Jean-Carl Boucher : Effectivement, c’est des couleurs que nous retrouvons dans les trois parties. C’est dans la subtilité de la chose, car on pourrait juste penser que c’est un carton de couleur qui est utilisée. On ne peut pas décrire aussi simplement une vie avec une seule couleur et je ne le crois pas. À chaque fois qu’il y a une couleur qui apparaît, c’est un peu pour mettre dans un mood qui va dans le fond se transformer et se mélanger.
Souley Keïta : Avec ces couleurs, on dénote beaucoup d’aspects négatifs à l’adolescence (mensonges, interdictions, colère, danger, mélancolie, etc.) Est-ce que tu vois dans cet âge plus d’aspects négatifs que d’aspects positifs?
Jean-Carl Boucher : Pour te répondre sincèrement… Oui, je me permets de dire cela, car le fait d’avoir vécu durant un certain temps en banlieue m’amène un certain recul. On s’aperçoit qu’il y a parfois des gangs de jeunes qui ne se sont pas choisis. C’est un peu l’époque de ta vie où tu ne choisis pas ton entourage et justement en ne choisissant pas les personnes que tu côtoies cela peut créer plus de malaises alors que lorsqu’on vieillit, nous faisons des choix, nous structurons notre vie, nous nous protégeons des éléments nocifs, des évènements plus traumatisants. À l’adolescence et au début de l’âge adulte, nous ne sommes pas protégés, car tout nous tombe dessus.
Souley Keïta : Nous avons l’impression, à travers ton langage cinématographique, soit de ne pas avoir les pieds sur terre, soit d’être écrasé au sol, pouvons-nous y voir des personnages en manque d‘équilibre, submergés par les doutes de la vie?
Jean-Carl Boucher : Exactement! Pour te donner un exemple précis au niveau du visuel, sur le début du film, je voulais avoir des plans stables, fixes de maisons dans le quartier. Je voulais un élément photographique, à savoir des personnages qui parlent sans cesse devant des maisons fixes, dans des voitures stationnées et fixes, alors qu’eux-mêmes ne ressentent pas de stabilité dans leur vie. Ce clivage entre ce qui se passe dans leur tête et le décor qui ne bougera jamais était important pour moi. Il est représenté par le fait de tourner dans un non-lieu et la voiture représente cela pour moi.
Alors que la scène dans le bois montre quelque chose de différent, on sort du quotidien, on sort de la routine, on sort du décor fixe puisque nous sommes dans la nature. Le bois est un endroit, où cela est plus débalancé, éclatant et où il y a un sentiment de liberté.
Souley Keïta : Ces passages où nous ne nous écoutons pas vraiment, ces cases qu’il ne faut pas cocher, ces portes qu’il ne faut pas ouvrir pour sans doute inverser le cours des choses, est-ce que ce serait un bon résumé pour Flashwood?
Jean-Carl Boucher : Oui, tellement. La vie ne nous offre pas beaucoup d’options. Il faut travailler fort pour que notre destinée change. Si à la base nous n’avons pas les ressources nécessaires, nous vivons une vie que nous ne choisissons pas.Flashwood est la conscientisation de cet élément-là. Un élément qui est sans doute général chez tous les humains, car il est rare que le bonheur nous tombe dessus par hasard.
Le film sera à l’affiche ce vendredi 07 août 2020 à La Maison du Cinéma.