On connaît déjà Cannes et Berlin. À Montréal, on connaît le Festival des films du monde et le Festival du nouveau cinéma, sans oublier le Festival international du film sur l’art. Plus loin, on connaît celui de Toronto ou le célèbre Sundance. Quand finalement on regarde ça, on se dit : et Sherbrooke dans tout ça ? Qu’à cela ne tienne ! Le 10 au 13 avril dernier avait lieu le Festival du cinéma du monde de Sherbrooke (FCMS). Voici ce qu’Entrée Libre a à en dire.
Il serait inutile d’attendre les résultats financiers et les statistiques de fréquentation pour savoir si la première édition de ce festival fut un succès. C’est le cas. Sur beaucoup de points et surtout vu la quantité de gens de tout âge rassemblés devant les écrans de la Maison du Cinéma. L’objectif de base de ses cofondateurs, Malika Bajjaje, directrice générale, et Denis Hurtubise, propriétaire de La Maison du Cinéma, qui était de « rassembler la population dans une célébration du cinéma d’ici et d’ailleurs » est bel et bien réussi.
S’il y a un hic dans toute cette histoire, c’est la quantité de films. Je dis un hic : c’est plus positif que d’autre chose. Considérant l’imposante programmation de 42 longs métrages de fiction, 16 longs métrages documentaires et 23 courts métrages, il devient très difficile pour un seul envoyé spécial de tout voir et de tout commenter. Malgré tout, ce n’est pas la volonté qui nous manquait. En plus des projections de la Maison du cinéma, on donnait des ateliers à la Salle du Parvis (comme la classe de maître d’Éric Falardeau au sujet de l’industrie des effets spéciaux au Québec), des premières québécoises un peu partout et des rencontres avec les réalisateurs aux quatre coins du centre-ville de Sherbrooke.
Autre point intéressant de ce festival : la diversité culturelle. Presque tout y passe : Québec, Mexique, Chili, Italie, France, Inde, etc. Combien de fois, par exemple, a-t-on vu un film mexicain sur nos écrans ces dernières années ? Et là je ne parle pas de Machete bien sûr ! La réponse : pas souvent. Avec la foule amassée dans les salles, c’est tout juste si on n’entend pas une petite voix qui marmonne : « pour une fois qu’il y a foule pour autre chose qu’un gros film américain avec du gros bang-bang. »
Avec l’impact de ces 4 jours, on peut voir le FCMS comme un mini Festival des traditions du monde (festival également co-créateur du FCMS) consacré au cinéma et au centre-ville. Et vu la quantité de partenaires de tout acabit, on ne doute pas des retombées que l’évènement a pu avoir sur la ville. Comme dirait l’autre, on redonne peu à peu aux gens l’envie de venir visiter le centre-ville, trop longtemps délaissé par la population au profit du Carrefour de l’Estrie et du Marais Saint-François. Mais bon, assez parlé du festival, parlons des films !
Ayiti Toma, au pays des vivants
Le documentaire du Montréalais Joseph Hillel dresse un portrait incroyable d’une population et d’un pays en proie à de constantes épreuves : Haïti. Un portrait méconnu par plusieurs d’entre nous puisque les rares fois où on en entend parler, c’est au sujet des catastrophes ou des frasques de Danny Laferrière.
Des images touchantes nous invitent parmi un peuple fier de leur culture et de leurs origines, que ce soit sur les pratiques vaudou toujours d’actualité, à la révolte des esclaves au 18e siècle, puis à l’indépendance d’Haïti déclarée en 1804. Malgré cet évènement, le pays n’a cessé d’essuyer des revers et de payer une dette imposante à la France (pour compenser monétairement, par exemple, ceux qui ont perdu leurs esclaves). Dette de plusieurs milliards de dollars qui n’aura été annulée qu’en 2009.
La variété des participants au documentaire, dont l’anthropologue Ira Lowenthal et l’acteur Sean Penn, sans oublier un prêtre vaudou et les intellectuels du pays, permet de donner l’heure juste sur l’état actuel de la république. Une république qui cherche encore à se remettre du terrible séisme de 2010 et à faire reconnaître mondialement la voix de ses citoyens malgré l’imposant fossé créé entre les riches et les pauvres.
Me and You (Io e Te) — sélection officielle — hors compétition — Festival de Cannes
Pour ceux qui connaissent Bernardo Bertolucci, ils se souviendront à la fois d’œuvres légendaires telles que Le Dernier empereur, 1900 ou Le Conformiste, autant que de ses œuvres beaucoup plus troublantes telles que Dreamers, Le dernier tango à Paris, ou encore 1900. Bertolucci, à 74 ans, nous épate avec un petit film beaucoup plus tranquille, datant de 2012 (9 ans depuis son dernier film). Avec Me and You, le réalisateur italien nous plonge dans la peau d’un garçon de 14 ans qui décide de fuguer en n’allant pas à sa classe de neige pour se réfugier dans le sous-sol de son édifice à logement. Au milieu d’antiquités et de vieux souvenirs, Lorenzo se réfugie dans son monde, lisant et se nourrissant de peu. Survient Olivia, sa demi-sœur qui se cherche un endroit où dormir le temps de se sevrer de l’héroïne.
Les deux jeunes ne s’aiment pas. Pourtant, au fil de l’histoire se créera une amitié plus forte que lien familial. Ces deux êtres éclopés, un garçon introverti en pleine puberté et une jeune de 18 ans ayant trop vécu, se retrouveront dans un huis clos émouvant sans même qu’on ait besoin de crier « inceste » comme on peut être habitué avec Bertolucci. En prime, une version italienne de la chanson Space Oddity composée et chantée par David Bowie. Ce genre de détail marque une génération.
Vann « Piano Man » Walls : L’esprit du R&B
Portrait fascinant du monde du blues, ce documentaire de Steven Morris suit Van Walls, un pianiste légendaire disparu depuis des années du monde de la musique. C’est en 1990 que Morris retrouve Walls dans une banlieue de Montréal où il vit depuis près de 40 ans. Le film retrace le parcours du pianiste de son Kentucky natal à New York où il enregistre jusqu’en 1955 avec les pionniers du rhythm and blues. On le retrouve ensuite à Montréal où au fil des ans il a gagné sa croûte en jouant dans les bars ou les hôtels.
Le film, tourné en bonne partie en 1993 et 1994, paraît de nouveau après avoir dormi sur des tablettes toutes ces années. En plus de la fantastique présence à l’écran de Van Walls qui, pour son âge, conserve une impressionnante vivacité au piano, on retrouve des entrevues de ses précédents collaborateurs et amis : Ruth Brown, Ahmet Ertegun, Dr John qui retracent son étonnante carrière.
Une petite perle à voir pour tous les amateurs de musique, connaisseurs ou non du monde du R&B. Ce film donne entre autres la chance de découvrir un personnage méconnu de ce monde et pourtant si talentueux. Toutefois, pour voir le film, il faut contacter le réalisateur sur le site officiel ou surveiller les festivals à venir.
Yes Sir ! Madame…
Ceux qui connaissent Robert Morin connaissent également son style percutant et par moment irrévérencieux, dans Requiem pour un beau sans-cœur ou Le Neg pour ne nommer qu’eux. Venu à Sherbrooke au dernier jour du FCMS pour présenter son dernier film, le réalisateur a pris également le temps de discuter avec le public de Yes Sir ! Madame, son étrange, mais non moins très amusant film de 1994.
Ici, on navigue entre fiction, biographie et scènes véridiques. Earl Tremblay, né en Acadie d’un père francophone et d’une mère anglophone nous raconte, au fil de 19 bobines de film, sa vie et sa misère, sa recherche d’un sens et d’une identité propre. Robert Morin, qui joue ici Tremblay tout en tenant la caméra, enregistre la 19e bobine en nous présentant les 18 autres. Au comble de l’absurde, il narre et bruite son histoire de plus en plus déroutante. Il narre à la fois en anglais et en français, traduisant au fur et à mesure ses paroles, jusqu’à ce que graduellement les deux langues s’affrontent et se battent pour obtenir le droit de parler.
À l’image du Canada, Morin nous jette au visage la confrontation des deux personnalités de son personnage qui cherche à tout prix à avoir une identité propre, jusqu’à en perdre la tête. Un très bel exercice de forme et une création originale à voir, pour ceux qui savent où chercher.