Après les événements de Charlottesville, beaucoup d’encre virtuel a coulé pour dénoncer le discours, tenu notamment par Donald Trump, visant à renvoyer dos à dos l’extrême-droite et les manifestant-e-s antifascistes, puisqu’il y aurait eu, lors des événements en question, «des éléments violents des deux côtés». Les personnes qui tiennent ce discours adoptent une posture voulant que la violence ayant eu lieu la fin de semaine dernière serait au fond le seul véritable aspect problématique des événements, et se gardent bien de dénoncer les appels à la haine raciale lancés par les groupes à l’origine du rassemblement.
Il est vrai, semble-t-il, que les manifestant-e-s antifascistes réuni-e-s pour s’opposer au rassemblement d’extrême-droite, bien que très majoritairement pacifistes, comptaient en leur sein des personnes masquées venues pour confronter physiquement les gens d’en face. Il est aussi vrai que s’opposer à l’usage de la violence contre la violence, voire le condamner, constitue une opinion légitime. Cela dit, il n’est assurément pas raisonnable de clamer haut et fort que néonazis et antifascistes sont au fond la même chose: les uns appellent à la persécution de certains groupes minoritaires, tandis que les autres s’opposent à cet appel.
Ce discours trompeur, ici adapté à un événement en particulier, est en fait l’écho d’un discours plus général prononcé depuis un certain temps par ceux qui gravitent autour du centre politique. Il s’agit de l’idée selon laquelle l’extrême-droite, et ce que les auteurs de ce discours appellent «l’extrême-gauche», doivent être mises dans le même panier. Vous savez, l’extrême-gauche, celle qui réclame la gratuité scolaire, qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes et la fin des oppressions en général? Et bien si l’extrême-droite est mauvaise parce qu’«extrême», alors l’extrême-gauche doit certainement être toute aussi mauvaise, puisqu’elle aussi est «extrême», n’est-ce pas?
C’est là qu’entre en jeu l’aspect sémantique du mot «extrême-droite». Il laisse penser à un continuum où l’extrême-droite serait, au fond, «à droite de la droite», et donc la symétrie de l’extrême-gauche, comme si on pouvait représenter l’éventail des idéologies politiques par cette figure:
En réalité, Philippe Couillard est aussi loin de l’extrême-droite que Gabriel Nadeau-Dubois — ce dernier est cependant certainement plus proche de Karl Marx que peut l’être Philippe Couillard. Parce que le fascisme, le néonazisme, le suprémacisme blanc et la xénophobie érigée en programme politique ne devraient pas être placés sur un continuum gauche-droite: ils ne sont ni la symétrie du marxisme, ni l’évolution logique de la pensée de droite. Le racisme et la persécution des minorités devraient être combattus par la droite et la gauche avec exactement la même vigueur — après, on peut faire valoir, avec raison, que les politiques de droite affectent plus négativement les minorités, mais en aucun cas on ne devrait placer Philippe Couillard et Marine Le Pen dans la même catégorie.
Chaque fois qu’on utilise le terme «extrême-droite» pour désigner ceux qui propagent la haine, on entretient l’idée que si leur idéologie est néfaste, c’est parce qu’elle est située à une extrémité du spectre politique. On contribue d’une part à légitimer leur discours, qui ne serait, au fond, qu’une «droite décomplexée», et d’autre part, à diaboliser celui de la gauche radicale, qui serait, par nature, équivalent.
Une fois qu’on a dit cela au sujet du terme en question, il reste cependant à trouver par quoi le remplacer.