Décantation

Date : 16 septembre 2013
| Chroniqueur.es : Marc Bédard Pelchat
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J’ai vécu à Lac-Mégantic de la fin de la mi-septembre 2012 jusqu’au tout début de cet été, soit dix jours avant le déraillement. Le Musi-Café de la rue Frontenac fut l’un des premiers endroits où je me suis rendu à l’époque de ma recherche de logis plus tôt dans l’année. Ouvert il y a moins de dix ans, l’endroit comportait deux parties, l’une plus près du concept café, avec la cuisine à aire ouverte, la machine à café et le café en grains en vente libre. Trois ou quatre marches plus haut, derrière, se trouvaient cette autre section, le bar, qui occupait la pièce contiguë au café.

La conception de cet espace était relativement différente de ce que l’on voit habituellement, avec des îlots distribués partout dans la pièce, combinés à un comptoir principal en forme de « U » où se retrouvaient ceux et celles qui voulaient un autre type d’ambiance que la conversation intime. La première fois que j’y étais allé remonte à 2005, à l’époque où je vivais quelque part entre La Patrie et Scotstown. C’était un endroit populaire du centre-ville où se retrouvaient à toutes heures les Méganticois (es) et beaucoup de gens des environs, de Nantes, Frontenac et de tous ces petits villages du pourtour du lac.

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, le pétrole enflammé coulait rapidement dans la rue Frontenac, dans une pente à quelques mètres du café. Telle la lave brûlante d’un volcan, le pétrole se frayait un chemin par gravité, détruisant tout sur son passage.

Vivre à Lac-Mégantic, c’est vivre avec l’omniprésence du train depuis plus d’un siècle. Le train est à Lac-Mégantic ce que fut le fleuve pour Québec ou Montréal: une voie de transport et de communication qui fut pendant longtemps la plus fiable. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les routes devinrent plus carrossables. Aujourd’hui, le train ne joue qu’un rôle secondaire dans le centre-ville et son passage obligé à cet endroit est devenu une contrainte plus qu’une nécessité. Il faudra bien cette fois-ci ne plus bloquer l’idée de déménager ce chemin de fer et sa gare de triage hors de la ville, quitte à garder les voies à des fins nostalgiques ou au cas où un jour le train redeviendrait un moyen de transport pour passagers. Dès mon arrivée, marchant sur la piste cyclable qui va du centre-ville à l’« OTJ », le long du chemin de fer, je fus quelque peu inquiet de ce passage des énormes wagons-citernes en pleine ville, sur ce chemin de fer qui ne semblait pas en bon état…

L’esprit est prompt, la chair est faible. En d’autres termes, entre le moment où l’on s’interroge et le moment où, en définitive, une question a été résolue, tant dans le privé que dans le public, bien des années peuvent s’écouler. À Lac-Mégantic, la population était partagée quant à ce train qui traverse le centre-ville et son éventuel déménagement, surtout depuis l’arrivée de ces nouveaux convois de wagons-citernes dont les dimensions font peur. Pourtant, cela ne faisait aucunement partie des priorités. Rien, semble-t-il, ne pouvait laisser poindre la catastrophe, car tout ce que l’on sait désormais n’est ressorti qu’après coup : le mauvais entretien des voies et du matériel roulant, les cabines de locomotives accessibles à quiconque, etc. Depuis des années, les trains se retrouvaient à Nantes la nuit, à tel point qu’une forme d’indolence s’était sans doute installée. Laisser le train sur la voie principale n’était pas un problème en soi, car il ne s’agit pas ici d’un circuit très fréquenté. Mettre un convoi sur une voie secondaire alors que rien ne semble le nécessiter entraîne des coûts additionnels, car il faut aiguillonner, ce qui requiert idéalement un membre d’équipe supplémentaire et comme nous l’avons vu, MMA est plutôt chiche. Laisser une locomotive fonctionner durant des heures pour soi-disant fournir de l’air aux freins du convoi est une source de pollution. Ayant séjourné dans ce secteur une nuit il y a quelques années, je peux dire que l’odeur du diesel dans la forêt n’est pas des plus agréables. Cela évitait sans doute d’avoir à appliquer les freins à main, car il faut aller de wagon en wagon (un processus lent) et refaire le chemin inverse le lendemain pour desserrer les freins. Il n’y a pas ici d’intention criminelle, qu’une gestion relâchée à laquelle tout le monde s’était habitué et qui était entérinée par les instances responsables. Un convoi de wagons de marchandises ordinaire qui aurait déraillé à Mégantic aurait fait quelques dégâts, mais des wagons-citernes bourrés de pétrole et autres produits chimiques et toxiques appellent à plus de sérieux.

Comme on l’a su pour Mégantic, un citoyen, un notaire qui prend la peine d’intervenir en pleine assemblée du Conseil municipal pour laisser savoir qu’il y avait des affaissements dangereux de la voie entre Nantes et Mégantic, se fait rebiffer facilement! Même dans sa « Vision 2007-2017 » publiée par la ville de Mégantic, le train n’est jamais mentionné, ni en bien, ni en mal. Alors entre le temps où l’on décide de prendre sérieusement des éléments de mise en garde et celui où des correctifs sont apportés, il se passe plusieurs étapes. Dans ce cas-ci, c’est la municipalité de Nantes qui aurait eu à prendre contact avec la MMA dans un premier temps. Puis si la MMA n’avait rien fait, il aurait fallu faire appel au Bureau de la sécurité dans le transport qui aurait éventuellement envoyé un inspecteur et exigé de la MMA de réparer la voie… des mois d’attente. Cette ligne ferroviaire demeure tout de même essentielle pour le transport des marchandises et désormais… du pétrole. Concevoir un nouveau tracé aurait coûté moins cher que ce que coûteront les conséquences du déraillement. On hésite souvent encore à investir des sommes d’argent à titre préventif.

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