L’ancêtre électronique des médias sociaux, ce sont les radios-amateurs qui ont surtout été actifs dans la seconde moitié du XXe siècle.
Les radios amateurs c’était très gentil à côté des médias sociaux courant, car sur les ondes ils étaient strictement interdits de dire des choses hors certains paramètres balisés, étant donné qu’il s’agissait de faire usage des ondes internationales, avec le risque de perdre sa licence d’opérateur radio, voire payer des amendes et se retrouver en prison dans certains pays.
Aujourd’hui le fair-play et les nuances ne sont pas trop de mises dans certains de ces médias sociaux, tels Facebook, Twitter/X, Reddit, Whatsapp, Telegram et d’autres. Vous ne verrez pas tout ce qui s’y passe car, selon vos préférences et les algorithmes, bien des choses vous échapperont. Les médias sociaux servent de révélateurs de ce qui se trame dans la tête de leurs participant·es, en augmentent considérablement la capacité à l’exprimer ainsi que la portée décuplée du mégaphone numérique. Il y a quelques années les Nations Unies ont carrément accusé Facebook d’être à la base du génocide des Rohingyas au Myanmar en laissant monter en épingle les rumeurs à l’intérieur du pays.
Bien sûr, tout n’est pas que des tas de méchancetés ou de cruauté gratuite. Sauf que, les médias sociaux permettent, souvent de manière anonyme, à tout un chacun d’exprimer son opinion dont la limite de l’espace ne permet pas d’être étoffée, si tant est que l’opinion de certains interlocuteurs mériterait tant de l’être…
Parmi moult exemples d’effets pernicieux, on observe depuis un certain temps que les jeunes filles se servent des « conseils » émis par des « influenceuses » chez TikTok pour se maquiller. La panique s’est installée chez des dermatologues et autres professionnels de la santé pour mettre en garde contre cet usage des cosmétiques, au moins chez les plus jeunes. Le temps passé sur les médias sociaux serait mieux utilisé ailleurs, à peu près n’importe où. Ainsi, on note aussi une augmentation gigantesque de 50 % de cas de myopies chez les enfants qui restent constamment devant leurs écrans et ne sortent plus pour jouer et pratiquer une vision à distance des objets, des paysages, etc.
Parlant de débat public, nous avons créé une société qui ne le favorise aucunement ou qui se manifeste de manière ponctuelle quand il y a crise. Participer au débat public nécessite une sacrée dose d’énergie et de temps, ce que peu de gens possèdent en abondance. Les médias sociaux viennent en quelque sorte combler cette limite en restant assis tranquillement chez soi à émettre son opinion sur tout et sur rien ou à s’autopromouvoir et vendre des objets de consommation.
Il ne faut pas s’attendre à ce que les propriétaires et actionnaires de ces plateformes mettent la bride. Ces entreprises sont parmi les mieux cotées au monde. Elles sont ces machines à sous incroyables qui ne créent que du vent. La prise de contrôle de Twitter par Elon Musk à un prix qui aurait pu servir à bâtir plusieurs hôpitaux et écoles aux États-Unis ne fait qu’en démontrer l’absurdité.
Max Fisher écrit dans son ouvrage The Chaos Machine (2022), « la question que j’avais posée dans les couloirs de Facebook – quelles sont les conséquences de l’acheminement d’une part toujours croissante de la politique, de l’information et des relations sociales humaines via des plateformes en ligne expressément conçues pour manipuler l’attention ? – était manifestement taboue ici. »
Idéalement, nous pourrions penser à des types de médias sociaux québécois au lieu de toujours être à la remorque des Américains. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’il y aurait des « sections québécoises », comme c’est le cas pour Oxfam, Amnistie internationale, Pivot/Ricochet, etc. La « société distincte », c’est peut-être aussi une façon de réfléchir autrement? Il est faisable de construire des communautés d’affinités qui ne sont pas liées aux GAFAM et engranger les revenus localement le cas échéant.
Dans STOP aux réseaux sociaux! (2020), Jaron Lanier élabore 10 arguments pour tirer son épingle du jeu. Parmi ceux-ci il y a la perte de libre arbitre, le manque d’empathie, votre insignifiance, le débat politique impossible et le moyen le plus efficace de résister à la folie de notre temps.
En fin de compte, les médias sociaux « mainstream » sont moins des moyens de communication que des moyens d’aliénation soporifiques. Courber l’échine, la tête sur des écrans, voilà notre soumission. Déjà en 1982, Ivan Ilich écrivait, Les nouveaux appareils électroniques ont en effet le pouvoir de forcer les gens à « communiquer » avec eux et entre nous, selon les termes de la machine. Tout ce qui, structurellement, ne correspond pas à la logique des machines est effectivement filtré dans une culture dominée par leur utilisation.