Prenez le temps de rire devant le dernier film de Michel Hazanavicius à La Maison du Cinéma dès ce vendredi 21 octobre.
Une critique sans (trop) divulgâcher.
La comédie retrouvée?
Il est indéniable de souligner que la plume de la comédie sied à merveille à Michel Hazanavicius et cela depuis bien longtemps.
De ce même réalisateur qui a écrit des sketchs pour Dominique Farrugia, Alain Chabat et Chantal Lauby, plus connu sous le nom du groupe d’humoristes : Les Nuls.
Les dialogues, la mise en scène sont des forces des films de Michel Hazanavicius notamment dans La classe américaine (1993) ou dans le diptyque hilarant de OSS117 (2005/2009) avec Jean Dujardin, qui est une parodie tranchante de l’agent 007.
Il est indéniable de souligner que chacun des films du réalisateur oscarisé pour The Artist, film aux 100 récompenses dont l’Oscar, le César, le BAFTA, etc., sont épiés, décortiqués et on pourrait dire que c’est en quelque sorte la rançon des récompenses qui placent les attentes du prochain film à son paroxysme. La perfection n’existe également pas au cinéma et ce fut le cas pour les derniers films du réalisateur qui ont reçu un accueil mitigé que ce soit pour son film de guerre The Search en 2014 ou Le Prince oublié en 2020 (même si le film évoquait pour ma part un hommage au Perceval d’Éric Rohmer). En parlant de Nouvelle Vague, il y a la très belle éclaircie du film Le Redoutable en 2017, qui brossait le portrait de l’inusable Jean-Luc Godard, disparut récemment, durant le tournage de son film La Chinoise jusqu’à mai 68 en passant par le « séisme » de l’annulation du Festival de Cannes. Un film dramatique sous couvert de comédie avec les traits de l’époustouflant Louis Garrel. Dans ce double genre, l’équilibre bascule, cette fois-ci, plus sur la comédie et dans l’envie de faire rire le spectateur en apportant un visage différent au film de zombies, Michel Hazanavicius nous revient avec Coupez!
Un « film nul » dans une œuvre aboutie et maîtrisée.
Qu’en est-il de ce dernier film, est-ce que l’on retrouve ce qui a fait la force du réalisateur?
Dans ce métafilm (un film dans un film), Rémi Bouillon est un réalisateur en perte de vitesse. Pour redorer son image auprès de sa femme et surtout de sa fille, il accepte un projet colossal : un film de zombies dans un plan-séquence de 30 minutes.
Pourtant rien ne va aller dans ce film que l’on pourrait qualifier de nullissime, et cela dès les premières minutes. Un film trompe l’œil où l’on se fait surprendre par l’inattendu des scènes où tout est hors contrôle. Un film qui s’amuse à faire jaillir des rires, encore et encore face à l’absurdité de ce que l’on voit, ou dans les situations que l’on vit avec ces personnages. On sent qu’il y a eu du travail, mais également du plaisir.
Je le souligne également, mais je ressens également à travers ce film des phrases qui interpellent sur la misogynie, le racisme, le mépris des spectateurs.
Le dernier trimestre de cinématographie, augure un automne fort plaisant et finalement si on s’évitait de le couper en profitant des salles obscures.
Entrée Libre a eu l’immense honneur de poser ses questions au scénariste et réalisateur oscarisé en 2012 :
Souley Keïta : Premières images, première question. À travers ce plan séquence, on s’enferme dans les paradoxes, celui d’un cinéma qui critique le cinéma. Était-ce essentiel de montrer que le protagoniste dans cet art peut parfois être son propre antagoniste ?
Michel Hazanavicius : Oui, en quelque sorte, mais après ce n’est pas un scénario qui est classique. Dans les scénarios classiques vous avez un personnage qui est dans une situation d’équilibre au départ, puis vient un accident déclencheur qui va créer un déséquilibre et de là va naître une quête. Effectivement le film va développer les péripéties de cette quête et on finit par donner satisfaction ou pas à notre personnage, mais également au spectateur. Dans ce film, nous ne sommes pas vraiment dans ce type de scénario, on fait face à un film qui est plus atypique. Il n’y a pas de réel antagoniste, ou s’il y en a un, je dirais que c’est le destin, la malchance ou le manque de préparation. Évidemment, un personnage dans un film traditionnel, il cherche une quête, en général, on lui fait trouver autre chose et il se rencontre qu’il avait un problème relationnel, familial, etc. Plus que quête, le personnage a réellement un objectif, on est plus dans un film d’action, et pour atteindre cet objectif, il doit résoudre un problème qu’il n’avait pas identifié au départ et qui est le regard de sa fille. À travers le regard de sa fille, il y a un rapport à son travail, à son ambition et à ses idéaux. Il est son propre antagoniste comme tous les personnages dans ce sens où il y a cette quête parallèle qui est inconsciente et où l’on se met des bâtons dans les roues tout seul. Après si vous question est plus large et qu’on est son propre antagoniste lorsqu’on fait des films, on n’est pas le seul et on fait partie des multiples antagonistes, car on se met beaucoup d’interdits et on a des petites prisons dans la tête. Il faut s’en libérer, quitte à se tromper, quitte à se casser la gueule, quitte à faire des films que les gens n’attendaient pas. C’est le prix de la liberté.
Souley Keïta : Je voudrais que l’on glisse un mot sur la genèse de ce film, qu’est-ce que vous retenez de ce tournage?
Michel Hazanavicius : C’est un drôle de concours de circonstances. Cela fait un moment que je voulais faire une comédie sur un tournage et j’ai pris des notes, j’ai commencé à gratter un scénario qui se passait sur une journée de tournage et qui se finissait par un plan-séquence. C’était un peu le même esprit avec « ces bras cassés » comme dans Living in oblivion (de Tom DiCillo). Je commence à travailler là-dessus durant le confinement et j’ai eu au téléphone un producteur qui s’appelle Vincent Maraval qui me demande ce que je fais, je lui raconte. Il me dit qu’il vient de racheter les droits d’un petit film japonais d’un étudiant et qu’il faut absolument que je le regarde. Je l’ai rappelé directement en lui disant que si tu n’as personne en tête, je le fais. C’était exactement les thématiques, le type de personnage et les types de rapport humain sur lequel je travaille. C’est le décor sur lequel je travaille et en plus il a une idée de structure que je trouve absolument brillante, audacieuse et satisfaisante. J’aimerais faire le remake. Il m’a donné le go et on est parti sur cela. Lorsque j’ai décidé de faire le remake, j’ai eu l’impression de prendre un gros raccourci, avec une partie du travail d’écriture qui me permettait de passer à l’étape suivante.
Concernant le tournage, j’ai eu énormément de satisfaction, car on sortait du confinement et il y avait vraiment une énergie débordante de retrouver les plateaux, de retravailler ensemble, un plaisir de retrouver le corps de l’autre, un corps de l’autre qui pouvait être un danger potentiel. Sur un plateau, on se confronte, on retrouve des distances humaines convenables. Je n’oublie surtout pas l’idée d’une comédie et celle de faire rire les gens.
Le fait d’avoir travaillé, de répéter durant cinq semaines pour le plan-séquence avec les 7 acteurs/actrices, et petit à petit, avec les autres acteurs/actrices qui nous ont rejoints, cela a créé un esprit de troupe. J’adore la distribution de ce film, j’adore cette unité de temps, car on les voit tous souvent.
Le souvenir le plus marquant est le tournage du plan-séquence. Ce n’est pas tous les jours que l’on fait un plan-séquence de 30 minutes. C’est une aventure!
Souley Keïta : Dans cette comédie, Rémi est un peu de ce réalisateur solitaire qui pense mener sa barque à bon port sans l’appui des autres. Est-ce que tant qu’il s’enferme dans cette solitude et sans l’appui de son équipe, son film est mené à l’échec?
Michel Hazanavicius : Non, je ne crois pas. Je ne crois pas que le film raconte réellement cela. Son film est un échec pour d’autres raisons, sans doute à cause de la malchance, sans doute du fait de ne pas s’être bien entouré, peut-être à cause d’un manque de préparation. Par contre ce qui est mis en lumière, et cette chose qui est paradoxale pour un réalisateur, c’est que vous êtes confrontés à la fois à une très grande solitude, car vous prenez des décisions qui vous sont très intimes et en même temps vous êtes au milieu d’un collectif, d’un dispositif qui fait que rien ne peut marcher s’il y a une défaillance. Par exemple, si le stagiaire ne va pas chercher l’acteur, parce qu’il ne s’est pas réveillé, tout s’arrête. Il y a une solidarité qui s’impose comme dans le film ou dans toute activité sociale.
Souley Keïta : Est-ce que dans cette satire il est parfois dur de mettre en lumière tout ce qui fait défaut au cinéma, tout ce qui fait défaut au film de genre ?
Michel Hazanavicius : Ce n’est pas vraiment mon propos, car il n’y a pas de satire. Ce n’est pas une satire, ce n’est pas une parodie, ce n’est même pas un pastiche. Si on parle de la première partie, on parle très sérieusement de premier degré, mais sur la surface du film et l’accès au film, il est comique. C’est un film où l’on rit beaucoup plus. Le film s’ouvre sur un plan séquence de 30 minutes où l’on pourrait dire que c’est une espèce de pastiche, mais pour moi c’est une zone presque inconnue du cinéma, dans le sens où l’on pourrait essayer de donner des émotions, des blagues. À travers ce film, ce n’est pas le cas, car on est dans un scénario qui est construit de telle manière où les choses se passent mal. C’est un scénario de non-moment, de non-fiction, c’est presque du non-cinéma. C’est très étrange à regarder, à fabriquer, car lorsque vous passez 5 semaines de répétitions avec toute l’équipe à faire un plan séquence qui n’est pas facile techniquement, d’aller dans ces endroits de non-cinéma où le temps s’arrête, où les gens n’ont rien à jouer, c’est déstabilisant. On a envie de faciliter la tâche du spectateur, de le flatter un peu, de le faire rire ou d’attiser sa curiosité, or ce n’était pas cela l’idée. C’était de donner cet objet très bizarre et il fallait que je le respecte puisque c’est un élément quasi mathématique de la construction du scénario. Si c’était une satire, je vous avoue que je l’aurais fait différemment en poussant les curseurs de la fabrication du film de zombies, j’aurais détourné ou montré des moments ridicules. Ce n’est pas cela, car ce que je raconte c’est un homme qui a voulu faire un film « rapide, pas cher et dans la moyenne », un petit film normal de zombies et que le personnage principal ne cherche pas à déplacer des montagnes, mais juste à faire un petit spectacle sympathique et ça ne se passe pas comme prévu.
Souley Keïta : Certes on a une comédie très drôle, mais il y a des moments qui percutent lorsqu’on visionne votre film. Notamment lorsqu’on effleure la misogynie, le racisme, le mépris, la violence verbale ou physique sur un plateau. Est-ce que pour vous avoir un beau film, c’est avant tout une belle aventure humaine sur un plateau et qu’avant de proposer des solutions au spectateur, il faut d’abord les trouver sur un plateau ?
Michel Hazanavicius : Non pas nécessairement. Je ne crois pas du tout au fait que la vérité d’un plateau influence la vérité d’un film, du montage et encore moins la vérité d’une projection au cinéma. Il y a deux réalités qui n’ont rien à voir. Lorsque vous regardez un film, vous pouvez voir un film magnifique qui a été fait par un horrible personnage. Vous pouvez voir une œuvre délicate, pleine de sensibilité et malheureusement il y a une déconnexion entre être quelqu’un de bien et une belle œuvre. Cela n’a rien à voir et cela en est malheureux, car il y aurait une justice dans cela. Pour autant cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas travailler sur les deux tableaux. Il y a depuis quelques années dans les rapports homme et femme, il y a une vraie volonté d’autocritique et d’essayer de s’améliorer. Cela vient des femmes et du mouvement Metoo. On est dans cette dynamique pour le mieux. Cela n’a pas d’incidence sur la qualité des films, mais encore une fois, ce sont deux logiques qui cohabitent. Ce n’est pas parce qu’on a de meilleurs rapports humains sur les plateaux que cela fait des bons films. Certes cela promeut des valeurs qui sont meilleures, mais il reste qu’il y a de très bons films qui ne promeuvent pas de valeurs formidables et qui sont dérangeants, qui peuvent heurter vos certitudes, donner de la beauté dans des choses immondes. L’art est aussi fait pour explorer les parties sombres de l’âme humaine.
Souley Keïta : Il y a un point qui doit agacer le cinéaste et le cinéphile que vous êtes, un point qui sonne comme une thématique dans votre comédie. Dans ce contrat qui dit que l’on doit donner le meilleur pour le spectateur et leur faire confiance pour décoder un film. Est-ce qu’on a de moins en moins de films qui bousculent notre spectateur ?
Michel Hazanavicius : C’est un fil rouge du film et qui est un peu incarné par la fille du personnage principal. Ce personnage principal qui a une sorte d’épiphanie, c’est-à-dire que tout d’un coup cette thématique ressort et puis, oui, il y a cru. Il balance effectivement cela. En même temps, pour moi, cette plainte a un côté dérisoire, car nous savons le film qu’il a fait. C’est un beau discours qui est complètement creux. Il y a une dimension tragi-comique dans cette séquence-là, qui est incarnée avec beaucoup de premier degré, beaucoup de sincérité par Romain Duris, car elle lui donne ce sérieux. On peut écouter ce discours et en même temps le spectateur n’est pas complètement dupe puisqu’il a vu le film, ce film nul. Il a simplement un discours qui est en décalage. Maintenant, il est vrai que j’aime beaucoup être sur les deux, de la même manière que lorsque j’ai fait un film sur Godard, il y avait un niveau qui était très critique et un niveau qui était très admiratif. En fait, je milite vraiment pour accepter la cohabitation de plusieurs sentiments contradictoires dans le cerveau du spectateur. J’aime cette idée de me dire que oui, ce qu’il dit est vrai, mais c’est complètement ridicule. Il est vrai qu’en France, et un peu partout dans le monde, je connais mieux mon sujet sur la France, mais il y a vraiment des films qui se font uniquement parce que le monde est payé. On se demande parfois ou est, non pas la nécessité, car il n’y a pas de nécessité à faire un film, mais peut-être de pertinence. Je le dis vraiment sans aucun mépris. C’est une impression un peu globale de l’industrie du cinéma. Le dire dans un premier degré, ça ne m’intéresse pas du tout, le dire dans un film avec ce paradoxe, c’est ce que je trouve intéressant. De la même manière dont je regarde toutes ces personnes qui fabriquent un film, il y a deux sentiments qui cohabitent. Je me mets dedans, car je fais partie de cette population, mais d’un côté on est totalement ridicule, dérisoire en se donnant de grands airs et en se croyant important, mais de l’autre côté, il y a cette belle chose, il y a ce côté héroïque, ce lyrisme à mettre autant d’importance dans cet objet futile. J’aime qu’il y ait ces deux sentiments.