Le jour de l’attentat, Sylvain Vigier, membre du collectif et inconditionnel de Charlie Hebdo, prend sa plume et offre ce texte à l’équipe du journal.
Vous connaissez pas une blague, qu’on rigole?
Charlie Hebdo vit parce que l’on s’y marre. C’est le sourire aux lèvres qu’on l’ouvre tous les mercredis (le vendredi à Sherbrooke), histoire de ricaner sur la morosité ambiante et la gestion de boutiquier de nos dirigeants. L’humour dans la plume et le pinceau, Charlie a la particularité d’avoir des reporters dessinateurs plutôt qu’un abonnement aux agences photos. Wolinski souligne ses états d’âme d’un trait léger, mariant l’actualité dans les robes et les nus des femmes que l’on désire. Cabu réveille en nous le swing, à grand coup de marqueurs noirs dans la moustache du «beauf» qu’il a créé, ou de traits plus élancés, à la hauteur des rêves du «grand Duduche». Charb, c’est la rigueur de Georges Orwell, et les ravages félinocanins de Maurice et Patapon. L’âme exigeante, vindicative, toujours prête à rire et à en rire. La mesquinerie, la crasse et le dégoût des puissants qui méprisent, révélés sans fard dans les mouches vrombissantes de Tignous. Bernard Maris, la plume économique d’Oncle Bernard, puis les éditos post-Philippe Val. Professeur d’économie, il la détestait, la trouvait mortifère, nous l’expliquait avec brio, lui qui voulait nous parler des fleurs, des animaux sauvages, et des livres, toujours des livres, jamais d’économie.
À cette heure, tous les 5 sont morts. Fusillés à coup de Kalach, une arme de guerre. Cinq autres membres de la rédaction, encore sans nom, ont également été abattus. Deux policiers complètent la Cène, dernière conférence de rédaction macabre du journal. Salauds! C’est tout ce qu’il sort de la gorge nouée par le chagrin et la colère. Parce que sous l’émotion, il ne me reste que la mesquinerie de l’insulte face à leur carnage. Là, de suite, ils ont gagné parce qu’en détruisant la tête, les bras, les jambes, leurs corps, ils ont tué le journal. Qui ça «ils»? Des cons!
Charlie, je t’aime. Et c’est pas des balles qui peuvent tuer un amour.