Les mots ne sont jamais neutres et à l’évidence, ils portent l’empreinte d’une société de classe. Parler comme son patron, c’est penser comme son patron. Mais surtout, c’est participer à la consolidation des construits sociaux capitalistes. Un exemple? Le fait de parler des personnes retraitées comme de personnes improductives grugeant une partie des salaires alors que l’actionnaire est perçu comme un être hautement important sans lequel la production de richesse serait impossible.
Malheureusement, l’imaginaire patronal imprègne aujourd’hui ceux et celles mêmes qui essaient de lutter contre la domination de cette classe. Les syndicats tentent, tant bien que mal, de contrer les réformes néolibérales tout en utilisant les mêmes mots et les mêmes concepts que ceux et celles qui avancent ces réformes. Afin de rendre mon propos plus concret, voici quelques exemples de discours à déconstruire.
D’abord, l’idée de l’entreprise providentielle qui fait vivre ses travailleurs et ses travailleuses et dont le profit serait la reconnaissance légitime. Combien de fois avons-nous entendu dire que telle ou telle entreprise faisait vivre des dizaines, une centaine ou un millier de personnes? Et pourtant rien de plus faux. Ce sont plutôt ces dizaines ou ce millier de travailleur et de travailleuses qui font vivre le patronat de telle ou telle entreprise, car le travail vivant et lui seul peut produire de la valeur ajoutée. Le profit a toujours été (et le restera tant qu’il existera) une ponction sur la valeur créée par le travail de la classe laborieuse.
Deuxièmement, le discours voulant que les braves entreprises contribuent à la société en allouant une partie de ce qu’elles créent aux services publics en payant de l’impôt (quand elles ne pratiquent pas l’évasion fiscale, bien entendu!) Encore une fois, il faut s’attaquer à cette idée que les entreprises créeraient la valeur ajoutée. Ce n’est pas vrai. Seul le travail peut générer ladite valeur. Or, une entreprise qui paye de l’impôt ne verse pas une partie de la valeur qu’elle a créée, mais une partie de la valeur créée par ceux et celles qui y travaillent. De plus, l’impôt sur le salaire brut et les cotisations sociales ne sont pas de simples ponctions comme l’est le profit. Pour une bonne part, elles servent à payer le salaire d’autres travailleurs et d’autres travailleuses de la fonction publique : du personnel qui s’occupe de la santé, de l’éducation et de bien d’autres choses encore.
Comme dernier exemple, attaquons-nous à la rhétorique patronale voulant que les personnes retraitées de la fonction publique reçoivent de l’argent pour soutenir le pouvoir d’achat qu’elles ne seraient plus aptes à aller chercher d’elles-mêmes par le travail. Encore une fois, cette façon de considérer les choses avantage grandement les propriétaires d’entreprises, car elle opère une division entre la classe laborieuse et la classe des ex-travailleurs et travailleuses. En réalité, comme l’explique l’économiste et sociologue Bernard Friot dans son livre L’enjeu des retraites, une personne à la retraite dans la fonction publique reçoit un salaire continué qui rémunère son travail hors emploi. Car oui, les personnes retraitées jouent collectivement un rôle important dans le travail puisqu’elles participent grandement au bénévolat, mais aussi bien souvent à des tâches familiales (garder, éduquer et voyager les petits enfants par exemple).
Qu’on me comprenne bien, ce n’est pas le patron ou la patronne en tant qu’individus que je cible. Certaines de ces personnes sont réellement bien intentionnées et contribuent à rendre le monde meilleur. D’ailleurs, plusieurs patrons et plusieurs patronnes effectuent réellement un travail au sein de l’entreprise. Ce travail lui-même n’est pas critiqué. C’est la ponction de la valeur ajoutée créée par le travail d’autrui qui pose problème. Cette aliénation consubstantielle au capitalisme doit être éliminée et cela n’est possible que si nous commençons à réfléchir en nous situant du point de l’autre classe sociale, celle qui peut subvertir le système économique actuel. Ce point de vue situé (comme tous les points de vue d’ailleurs) doit être accompagné d’un nouvel imaginaire. Il faut acquérir de nouveaux mots, de nouvelles expressions et de nouvelles définitions de certains mots. Sachons nommer les choses et nous pourrons mieux lutter par la suite.