Le printemps, plutôt que la saison des fleurs, c’est surtout la saison des rapports d’impôts et du budget du gouvernement. Et quand il est question de budget, le gestionnaire «bon-père-de-famille» n’est jamais bien loin. Il est vrai que nous restons de grands enfants, et nous avons besoin d’un Papa-Couillard et d’une Maman-Leitão pour nous faire la leçon sur le remboursement de la dette.
Car la dette, c’est le vrai problème dans la maison Québec. Une «menace» qui s’évalue à 51% du produit intérieur brut (PIB) en 2017. Et les bons-gestionnaires-pères-de-famille de nous rappeler que nous ne pourrions pas gérer nos finances personnelles de cette façon. Le piège tendu est parfait: «la moitié de mon salaire pour rembourser mes cartes de crédit? Ça n’a pas de bon sens». Et c’est ainsi qu’on va trouver normal de voir 10 milliards de dollars sur 5 ans être consacrés au remboursement de la dette à partir du Fond des générations.
Mais la «maison Québec», ça ne se gère pas comme mon 5 ½ et mes deux enfants. Le PIB correspond à l’ensemble des richesses (des cannes de sirop aux conseils d’avocats fiscalistes pour diminuer son impôt) produites au Québec en une seule année. La dette, quant à elle, représente l’ensemble des emprunts (sous diverses formes) qui doivent être remboursés, mais les échéances ne sont pas d’une année. La durée moyenne des titres de dette dans les pays membres de l’OCDE est autour de 8 ans. Si M. Couillard présentait ses finances personnelles avec d’un côté ses revenus de l’année, et de l’autre son hypothèque pour sa maison et (probablement) son chalet sur les rives du fleuve, on découvrirait qu’il est endetté à bien plus de 100% de son PIB. Et ça serait probablement bien plus pour tous ceux d’entre nous qui n’avons pas le salaire d’un premier ministre, bonifié par des années de pratique de la neurochirurgie en Arabie Saoudite. De savoir que nous produisons en un an la moitié de ce que nous devrons rembourser dans environ huit ans permet de transformer une urgence menaçante en une donnée budgétaire parmi d’autres. Si nos pères-de-famille étaient honnêtes, ils nous diraient simplement que la dette nous coûte chaque année 10% du budget (service de la dette en 2016 selon le ministère des Finances). Et là, on pourrait comparer nos propres dettes avec celles du Québec.
À nous maintenant d’être des bons-pères-de-famille et d’expliquer, pour le bien de nos enfants et le nôtre, à quoi sert la dette pour un État et ce que l’on devrait faire avec les 10 milliards de dollars du Fonds des générations. Un État s’endette parce qu’il s’occupe du futur. Il investit donc, et comme pour des entreprises – présentées comme la vertu même de la gestion budgétaire – cela passe par de la levée de fonds. Il investit pour développer son territoire, pour le rendre accessible en tout point pour tout le monde et même pour les marchandises. Il fait des demandes d’emprunt pour construire des écoles, payer des enseignants, acheter des manuels scolaires, pour que nos enfants apprennent à lire, à écrire, à devenir des adultes et citoyens responsables, libres de choix et de pensée. Il prépare l’avenir en investissant dans les hôpitaux, dans le recrutement et le paiement des infirmières, pour que nos parents vieillissants puissent être pris en charge avec toute la dignité qu’ils méritent. Enfin, un bon père de famille se soucie de ce qu’il transmet à ses enfants. Et pour cela, il emprunte de l’argent pour construire un futur qui permet le maintien de l’intégrité de la planète dont il est le gestionnaire et dont sa vie dépend. Rembourser la dette est un choix politique, qui choisit le Capital plutôt que l’intérêt général; on privilégie ceux qui ont assez d’argent pour en prêter, au détriment des besoins criants pour tous sur le terrain.
Jusqu’à preuve du contraire, ça n’a jamais été le chemin de la justice sociale.