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Une critique sans (trop) divulgâcher.
En décembre dernier, la symbolique était forte, car effectivement nous disions Au revoir le bonheur. Le deuil d’un bonheur qui nous permettait de nous évader un temps, de nous réconcilier avec notre passé, de voir de nouveaux lieux, de nouveaux horizons, tout en délivrant un flot d’émotions variées et enivrantes. C’est tout bonnement cela que m’a procuré le dernier film de Ken Scott, dont les quatre acteurs, Patrice Robitaille, Louis Morissette, Antoine Bertrand et François Arnaud ont été récompensé au Festival de l’Alpe d’Huez, un festival qui honore la comédie. Des acteurs que l’on ne présente plus et qui sont bien entourés, avec entre autres, Julie Le Breton, Charlotte Aubin, Pierre-Yves Cardinal et Geneviève Boivin-Roussy.
Synopsis : Quatre frères, que tout oppose, se rendent dans la maison de vacances aux Îles de la Madeleine, pour y déposer un dernier au revoir à leur défunt père. Pourtant rien ne va se passer comme prévu une fois arrivée sur place.
La comédie de fin d’année sera celle du début d’année, ce n’est pas grave. Est-ce que le sujet est usité? Vu et revu? Assurément que oui! Malgré tout, il faut parfois être conciliant, tout n’est pas à remettre en cause du simple fait que ce ne soit pas original. Le premier film québécois à sortir en salle ne nous laisse pas de marbre car j’aime à dire qu’un film se jauge sur une première étape : nous embarquer et il est plaisant de permettre au spectateur de poser ses bagages à travers un film.
Au revoir le bonheur est plus qu’une comédie, c’est un lieu aux multiples drames. Un lieu qui honore la nostalgie, la mélancolie. Un endroit qui devient le personnage central du film et qui souligne à merveille l’évolution d’un personnage au cinéma : être pour devenir. Cette maison nourrit également les changements de ces personnages qui côtoient le lieu.
Je dirai simplement Ken Scott, le cinéaste qui a manqué au Québec, revient réaliser un film dans la Belle Province, depuis le plébiscité Starbucks en 2011. Il est à souligné cette facilité pour la comédie dramatique, une facilité de réalisation, de direction d’acteurs qui n’est pas donné à tout le monde, et pour moi, le pari de ce film est réussi.
Entrée Libre a pu s’entretenir un instant avec le scénariste, réalisateur et producteur Ken Scott ainsi que l’acteur Pierre-Yves Cardinal lors de leur passage à Sherbrooke :
Souley Keïta : Première image, premières images. « S’en aller », un lieu où l’on bâtit les fondements d’une famille avec cette idée de prolonger un héritage sauf qu’à l’inverse de votre comédie, la chute est moins bonne pour ces 4 frères que tout oppose. Est-ce que cette maison représente surtout une fracture pour vos personnages ?
Ken Scott : Cette maison évoque pour moi, la métaphore pour le bonheur et de la façon dont le récit est construit, on commence l’histoire avec Pierre-Yves Cardinal qui interprète le rôle du père, Philippe. Il va reconstruire une maison qui a été délabrée, au tout début du film, en la retapant chaque année où il revient sur les Îles de la Madeleine. Il va rendre cette maison désirable, à travers un lieu qui l’est tout autant. Ces 4 frères vont devoir au fur et à mesure redéfinir cette maison avec une question qui est : qu’est-ce qu’ils vont faire avec ce bonheur ?
En fait, j’avais quelques influences au niveau de l’écriture et par rapport à cette maison mon influence était un film de Vittorio De Sica, Le voleur de bicyclette. J’avais l’impression qu’il avait réussi avec son écriture à donner de cet objet, à cette bicyclette, une telle importance. Plus le récit avance, plus la bicyclette prend une valeur. Par rapport à mon film, j’ai voulu construire un récit avec cette capacité de revoir le bonheur de la même façon. Il faut savoir que plus l’histoire avance, plus la maison prend une valeur financière, mais pas que, car elle prend également une valeur symbolique.
Souley Keïta : Avec ce 6e long-métrage, cette comédie dramatique se révèle sous l’inspiration de cette peur de se raconter par peur de voir ses faiblesses notamment avec l’opposition entre William et ses frères. Comment le perçois-tu au niveau de l’écriture ?
Ken Scott : Au niveau de l’écriture, j’évite cette problématique, car je transpose mes idées dans la fiction. Je n’ai pas de frère, j’ai uniquement des sœurs. Je touche du bois, car mon père n’est pas décédé, mais cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’idées sur cela. En travaillant sur de la fiction, plutôt que de l’autofiction, je réussis à aller plus près de certaines vérités que j’ai envie de dire. J’ai l’impression que dès lors où tu racontes quelque chose, en prenant la vie de telle ou telle personne, tu vas subir ce que vit William. Cela devient un frein lorsque tu as moins de liberté, car tu veux préserver ces personnes.
Souley Keïta : J’aimerais revenir sur le titre Au revoir le bonheur, outre le nom de la deuxième pièce de théâtre de William, c’est le titre de cette comédie dramatique fort plaisante. Est-ce que, sans révéler les punchs du film, vous suggérez qu’un décès peut briser les liens et faire ressurgir les failles d’une famille ?
Pierre-Yves Cardinal : J’ai l’impression que probablement la mort de mon personnage, au tout début du film, fait ressortir des différends. Ce n’est pas une fin en soi, car les morceaux peuvent être recollés ou simplement rapprocher les gens. Ça peut faciliter une cassure ou l’inverse. Mon personnage a été très intimidant à jouer, car lorsque Ken m’en parlait en énumérant toutes ces qualités, je me disais « Oh, my god! », le personnage est impressionnant. À un moment donné, je me suis dit qu’il faut que je me rattache à la lumière qu’il dégageait. Probablement que c’est l’aspect le plus important. Je voyais en lui quelqu’un qui n’avait pas de défaut, mais parfois il est un peu tourné vers lui-même et ses projets l’obsèdent beaucoup.
Ken Scott : Pour les quatre frères, je voulais que chacun ait son histoire et qu’à tour de rôle, chacun devienne l’antagoniste du protagoniste. Cela permettait de faire un roulement constant. Je pense que l’on prend ces frères souvent dans une opposition comme dans beaucoup de famille en fin de compte. On s’attaque entre nous, mais à l’extérieur ou devant les autres, on fait bloc. Il y a des scènes croustillantes où il faut « défendre l’honneur de la famille ». C’est cette dynamique de famille que j’avais envie d’explorer à travers ce film.
Souley Keïta : Parlons de vos personnages et des traits de leur identité que vous leur incombez : l’épicurien, le nostalgique, le businessman ou l’auteur. Est-ce qu’au travers de ces identités, vous voulez pousser encore plus le public à s’identifier à un personnage ?
Ken Scott : J’aime travailler avec les archétypes. En ayant les archétypes, comme vous l’avait avez nommé, j’ai l’impression que le spectateur peut rapidement comprendre qui il voit à l’écran et cela devient efficace, car on s’identifie. Toutefois, il faut quand même donner une profondeur à ces archétypes pour que cela soit réaliste et que ce ne soit pas unidimensionnel. La façon dont je l’ai fait, c’est que le père, Philippe, avait toutes les qualités. C’est un personnage qui est plus grand que nature avec du succès, avec une élégance et d’une certaine manière les frères se sont divisés ces qualités.
Souley Keïta : On vit une belle expérience, car on voit également votre personnage se construire au fur et à mesure, on apprend à le connaître sans pour autant le voir, comment on vit cela ?
Ken Scott : Je suis curieux de voir ta réaction.
Pierre-Yves Cardinal : Pour moi, c’est une démarche étrange pour vrai. Je ne t’en ai jamais parlé.
Ken Scott : On n’en a jamais parlé effectivement. En fait, tu commences le film, tu es là à quelques moments et pourtant tout le film porte sur ton sujet. Il est toujours question de toi.
Pierre-Yves Cardinal : J’ai trouvé cela intimidant, car c’est l’homme fort, de manière très archétypale. Au début du projet, tu fais comme « OK, parfait! ». Un moment donné où tu commences à travailler ton personnage, tu fais comme « Hey, câlice comment vais-je faire avec ce personnage? Comment faire ce tour de magie avec ce personnage? » La pression vient du fait que c’est l’assise du film et que je ne peux pas le floper. Tu peux floper un caméo dans un film, ils le couperont au montage. Avec ce personnage tu ne peux pas, car tu fais cela et le film ne se tient plus. Par la suite, je me suis dit que les quatre frères vont aussi porter ce personnage du père. Ils vont le faire vivre lorsqu’ils en parleront donc je n’avais pas besoin de pousser pour mettre en lumière ses qualités. Cette réflexion m’a amené à me concentrer sur la lumière qu’il était à son époque, sur ses aspects positifs et humains. Un homme avec du cœur.
Souley Keïta : L’importance du personnage à travers le lieu, un personnage de la ville dans un endroit où la simplicité devient un moteur. Un personnage qui a un attachement avec ces îles qu’il ne veut pas quitter. On sent aussi un détachement face aux banalités de la ville, comme s’il se retrouver. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ken Scott : C’est intéressant, car tu parlais des défauts et cette perception peut être une qualité, mais aussi un défaut. Un défaut, car étant donné qu’il est au-dessus de la mêlée, au-dessus des banalités, il y a certaines choses qu’il n’entendait pas comme les retards de paiements ou le fait de ne pas se presser pour l’avion. Pour moi, c’est le maquereau du rêve et il embarque les gens dedans.
Le premier film québécois de l’année s’offre à vous et quoi de mieux que de s’évader, de s’émouvoir et surtout de rire à gorge déployée. Rendez-vous ce vendredi 11 mars à La Maison du Cinéma.