Une neige aveuglante, mortifiante, étourdissante, tombe obliquement du ciel sur le pays tout entier. Cette chute de cristaux assourdit complètement l’atmosphère. Elle étouffe tous les bruits du milieu.
Une rivière tortueuse se faufile entre les collines avoisinantes pour finalement s’écouler calmement à travers une forêt de conifères. On devine ses rives là où la surface du sol, d’une blancheur presque immaculée, s’affaisse tel un large pavé de ouate. Toute cette neige folle est idéale pour les sports d’hiver. C’est le cas de Vanessa. Elle est une adepte de la raquette. Mais c’est dans le firmament qu’elle vivra l’expérience de sa vie. Laissez-moi vous raconter.
C’était la veille de Noël. La matinée débutait. La jeune fille, fidèle à elle-même, se pointa à la piste de raquettes municipale pour s’offrir une promenade. Elle s’engagea dans une érablière où les arbres poussaient clairsemés. Elle respirait profondément, tout en balançant ses lourdes jambes, de l’arrière vers l’avant, un pas à la fois.
Soudain un bruit de moteur brisa le silence de la nature. Il approchait de la raquetteuse. Vanessa ne put d’abord distinguer qu’une énorme boule rouge qui faisait des zigzags entre les arbres de la forêt. Elle se sentit repérée puisque ce moteur venait vers elle. C’était une motoneige. Elle tirait un énorme traîneau. Ce dernier transportait plein de jolies boîtes soigneusement enveloppées de papier aux motifs gais et colorés, avec de larges rubans glacés et des choux en forme de rosette.
Un gros bonhomme, avec une longue barbe et des cheveux blancs, conduisait la machine. Il était tout habillé de rouge, tuque, veston et pantalon, avec une large ceinture de cuir et des bottes lui montant aux mollets. Arrivé à la hauteur de la jeune fille, il arrêta son astronef et s’écria :
— Au grand air, ça fait du bien, vous ne trouvez pas?
Il fit une pause. Il se tapa dans les mains. Puis il se frictionna les bras comme s’il avait froid.
— Je suis le père Noël. Vous me reconnaissez?
D’abord, la jeune fille resta muette. Elle se méfiait de ces machines infernales qui emportent ses passagers dans un vacarme sulfureux.
— Je m’en vais au pont couvert de la rivière toute proche. Mes lutins m’y attendent. Vous connaissez? Je vous y invite. Ce sera notre veillée d’armes à l’occasion de laquelle chacun d’entre nous s’engagera à rendre les enfants heureux en cette nuit de Noël. Nous distribuerons les cadeaux. Il faut venir.
La femme sentit son cœur ne faire qu’un tour. Participer à la distribution des cadeaux pour les enfants, la nuit de Noël. Pouvait-elle souhaiter vivre une expérience plus gratifiante? Au diable les scrupules. Elle enfourcha la motoneige.
Le père Noël lança leur monture dans les bois. Ils rejoignirent les lutins réunis autour d’un bivouac. Ils planifiaient le travail de la nuit prochaine. La distribution des cadeaux devait avoir lieu en un seul instant, sur le coup de minuit. Les rennes étaient là, Nez rouge en tête, attendant qu’on les attelle au traîneau qui regorgeait de cadeaux.
Minuit approchait. Le cortège enchanté s’éleva dans le ciel. Tel que prévu, sur le dernier coup de l’horloge, tous les cadeaux avaient été instantanément distribués dans tous les foyers du pays. Vanessa jubilait.
Lorsque vint le temps de la séparation, les lutins s’envolèrent pour le pôle Nord avec les rennes et le traîneau. Le père Noël prit Vanessa à part. Il lui glissa à l’oreille :
— Nous nous retrouverons peut-être l’an prochain.
Là-dessus, le motoneigiste monta à bord de son engin et déguerpit dans un train d’enfer. Il stressait franchement son espace restreint. Il terrorisait les habitants de la forêt. Cette tête heureuse venait à bout du dernier havre de paix du secteur. Une fumée bleue s’échappait de son moteur. Sa machine avançait inexorablement entre les arbres, écrasant arbustes et repousses. Ces petits débordements dans une nature vierge et pure se justifiaient aisément, d’abord parce que tout le monde le fait, ensuite parce que c’était la fête de la Noël, celle des enfants. Comme on dit, un petit mal bien fait ne fait jamais bien mal.