Au-delà du punk-rock antipoutinien des Pussy Riot

Date : 17 octobre 2012
| Chroniqueur.es : Gabrielle Gagnon
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À quelques jours de l’élection présidentielle russe de mars 2012, cinq jeunes femmes associées au groupe féministe Pussy Riot s’introduisent dans la cathédrale Christ-Sauveur de Moscou pour y interpréter une prière punkrock enjoignant la Sainte Vierge à « chasser Poutine ». Cagoulées, vêtues de robes et collants aux couleurs bigarrées, les punkettes dansent et chantent sur l’estrade de l’autel de l’église orthodoxe sise à proximité du Kremlin, armées de guitares et d’équipement de sonorisation. Trois d’entre elles seront ensuite incarcérées, puis condamnées le 17 août dernier à deux ans de colonie pénitentiaire pour « hooliganisme » et « incitation à la haine religieuse ». Le caractère absurde et démesuré de cette sanction, unanimement décriée sur la scène internationale, a en outre mis en lumière, dans un pays en principe laïque, l’influence de l’Église orthodoxe sur le pouvoir politique et judiciaire russe.

Selon le verdict rendu par le tribunal, les Pussy Riot ont été accusées d’avoir porté des vêtements « inappropriés », prononcé des mots « blasphématoires » et de s’être adonnées à des attaques « démoniaques » ayant « offensé les sentiments des croyants ». Leur prestation ayant plutôt pour objectif de dénoncer le régime de Poutine et le soutien du patriarche orthodoxe Kyrill à sa candidature à la présidentielle de 2012, ces dernières ont néanmoins toujours soutenu ne pas avoir voulu heurter la foi des fidèles. Interrogé à ce sujet, Tristan Landry, professeur au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke et spécialiste de l’histoire de la Russie, reconnaît que le lobby orthodoxe est très fort au pays de Tolstoï.

En choisissant la cathédrale Christ-Sauveur comme théâtre de leur action politique, les Pussy Riot se sont attaquées à un symbole sensible de la nation russe. Détruite par Staline dans les années 1930, la plus grande église orthodoxe a été reconstruite, à l’instar de plusieurs autres églises de même confession, après la chute du communisme. Le professeur Landry rappelle que l’on assiste, au début des années 1990, à une recherche de l’identité russe qui semble passer par un renouveau de l’orthodoxie, et ce fondement orthodoxe est de surcroît renforcé par le lieu choisi pour la reconstruction de la cathédrale Christ-Sauveur, tout près du Kremlin.

Moins populaire qu’il ne l’était, Poutine, avec l’intransigeance dont il a fait preuve envers les Pussy Riot, témoigne de son accointance avec la puissante Église orthodoxe, dans l’espoir de s’allier ses millions de fidèles. « Et le nationalisme de Poutine en est un très russe », rappelle Tristan Landry. « Le désir de supprimer toute manifestation civile rappelant le printemps arabe est très fort chez le président russe, qui n’hésite pas à maintenir la ligne dure envers tout détracteur du pouvoir afin de ne pas laisser s’installer la contestation dans le pays », poursuit le professeur Landry. En font foi de nombreux cas d’arrestations et de condamnations arbitraires envers des opposants politiques, dont l’exmagnat du pétrole Mikhaïl Khodorkovski et l’ancien champion mondial d’échecs Gary Kasparov.

Quoi qu’il en soit, la vague de soutien et de mobilisation de plusieurs pays occidentaux envers les Pussy Riot et l’extrême médiatisation de leur procès n’est pas sans soulever certaines questions. En effet, plusieurs mouvements de contestation civile et nombre de procès judiciaires semblables, aux sentences encore plus lourdes, ont présentement cours dans plusieurs régions du monde. Pourtant, c’est précisément le cas des Pussy Riot qui a retenu l’attention de la communauté internationale. Pourrait-on assister à une propagande antipoutine au moment même où la Russie, qui soutient déjà ouvertement l’Iran, bloque toute intervention des États-Unis en Syrie ? En définitive, soutient Tristan Landry, le cas des Pussy Riot et toute sa résonance reflète la dérive de l’autoritarisme russe et le vacillement du statut de superpuissance de cette grande nation, alors que les échos contre le régime poutinien se font unanimement entendre depuis l’étranger.

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