Une critique sans (trop) divulgâcher.
Le chasseur chassé.
Un thriller commence toujours par un premier battement de cœur, tel le premier coup de baguette qui se dépose sur la grosse caisse d’une batterie au contraire d’un polar où cette chamade attrape notre cœur, notre batterie, et pour lequel il faut vite se calmer pour réguler ces réflexions.
De ces battements de cœur, ils deviennent au fur et à mesure intempestifs, notamment lorsqu’en tant que spectateur on dévore des éléments que les personnages n’ont pas en main. Au travers de cela, le spectateur doit attraper, trier les bonnes ou les mauvaises questions qui surgissent à mille à l’heure et sur lesquelles il faut vite se positionner malgré nos incertitudes qui en découlent.
Par la suite, ces frénétiques battements de cœur nous place dans la peau du chasseur en quête du moindre indice et dans « le savoir quoi voir » d’un récit, tout en évitant de se laisser berner par un scénariste, par le réalisateur ou par les personnages.
En somme, le thriller est une gymnastique du visuel qu’on aime maîtriser en se pensant parfois trop malin… Et pourtant ce qui devait arriver arriva, se faire piéger.
Si on arrive à cette conclusion du spectateur chasseur qui est chassé, c’est que le réalisateur a réussi son coup de maître.
Dans ce jeu de tension cinématographique, les battements de cœur ne pouvaient pas mieux s’annoncer avec Arsenault et fils de Raphaël Ouellet, qui signe une chasse effrénée avec ce thriller et ce polar haletants.
Je vous le dis un thriller, ça va à mille à l’heure, tout en essayant de réfléchir posément pour un polar.
« Arsenault un jour, Arsenault toujours. »
Le réalisateur, attaché à sa terre du Témiscouata, revient 9 ans après Finissantes avec une œuvre pleine de maîtrise et un sujet qui est encore peu exploré : le braconnage au Québec.
Dans un village de Témiscouata-sur-le-Lac, la famille Arsenault exerce depuis des générations le braconnage en revendant la viande illégale dans des marchés clandestins sous couvert d’un garage qui cache bien des affaires. Pourtant, Adam, le fils aîné décide de reprendre son destin entre ses mains en prenant de la distance avec ce bizness illégal, et par la même occasion, avec sa famille.
J’aime dire que le cinéma est avant tout l’idée de ne pas y voir un acteur, mais avant tout on vit avec un personnage auquel on croit. Un personnage qui nous amène non pas dans un simple récit, mais dans son histoire, dans sa vie et une fois de plus, pour ce film, on devient un Arsenault ou on le renie. Outre la présence indéniable de Guillaume Cyr, Karine Vanasse et Luc Picard, on soulignera la composition offerte par Pierre-Paul Alain, qui est le régulateur de notre tension. Cette tension qui montre à quel point on se méfie d’un personnage tant il est incontrôlable. Oui, la direction d’acteurs y est pour beaucoup, mais c’est un ensemble.
Il me plaira forcément de revoir le film de Raphaël Ouellet !
Quel plaisir pour Entrée Libre de parler d’un film sous tension avec ces acteurs principaux Guillaume Cyr et Pierre-Paul Alain ainsi qu’avec le réalisateur et scénariste Raphaël Ouellet :
Souley Keïta : Généralement, je commence toujours ma première question par la première image, avec ce film, je débuterais par la première phrase. « T’es-tu obligé de faire autant de bruit? » sonne comme un avertissement, celui de dire que pour vivre heureux, il faut vivre caché. Est-ce que malheureusement tout au long du film la famille trop visible fait défaut ?
Guillaume Cyr : De manière un peu simpliste, Adam Arsenault est un peu le bon gars de la famille. Il est un peu écœuré d’avoir cette réputation dans le village avec un nom lourd à porter et il aimerait beaucoup que sa famille emprunte le bon chemin. C’est une phrase qui décrit complètement la relation que j’ai avec mon frère. Après avoir vu, le spectateur se rendra compte que Anthony fait effectivement beaucoup trop de bruit. Adam a sa petite vie bien rangée et il aimerait qu’elle le reste.
Raphaël Ouellet : Tout cela est vrai, car j’aime bien qu’on laisse le champ aux interprétations. Cela résonne avec ce que tu dis, mais pour moi cela était plus simple comme vision. Cette entreprise criminelle existe, car la famille garde cette notion en tête. Lorsqu’on est chasseur, la base d’une bonne chasse c’est d’être discret, de traquer en faisant le moins de bruit possible et Anthony n’est pas un chasseur. Il ne comprend pas les rouages de la chasse, mais il ne comprend pas non plus les rouages de l’entreprise familiale qui est entre autres de garder un profil bas et malheureusement c’est un jeune homme qui attire les regards. Ces erreurs ont leur importance, car il n’a pas compris les bases.
Pierre-Paul Alain : Sur 10, Anthony est à deux au niveau de l’empathie. Je trouve qu’il y a une espèce d’animosité chez ce personnage qui l’empêche d’être comme Adam, qui l’empêche de respecter les règles de la chasse. Pourtant Anthony est né là-dedans, il est né dans le braconnage également et il n’a pas d’autres réalités. Le seul qui pourrait s’en sortir, c’est sans doute Adam. Au contraire de son frère, mon personnage est pris avec cette image de troubler et il est parfois difficile de se défaire de cette animosité, car les gens le voient ainsi.
Souley Keïta : Je vais rebondir sur la première image, celle d’Anthony qui fait un doigt d’honneur. Un doigt d’honneur qui laisse une place à des interprétations comme à la famille, comme aux règles qui s’opposent au chasseur silencieux, méticuleux qu’est Adam (Guillaume Cyr).
Raphaël Ouellet : C’est vraiment l’idée du doigt d’honneur à tout le monde, au monde qui l’entoure, à sa société. D’ailleurs, dans le film on va voir Anthony avec une veste sur laquelle il est écrit « vie de marde ». Anthony est une sorte d’anarchiste, pas intellectualisé, mais anarchiste tout de même. Il n’est pas politisé, il vit à la marge de la société et j’avais envie qu’il se distingue tout de suite. J’avais envie que ses amis soient des laissés pour compte, des marginaux.
Souley Keïta : Malgré les travers de la chasse illégale, il est fait mention de deux réalités qui s’opposent, celle d’un Québec rural qui veut se réapproprier la terre, la chasse à contrario d’un gouvernement qui voit les choses différemment en mettant des restrictions en place, peux-tu nous en dire plus ?
Raphaël Ouellet : La réappropriation du territoire a ses limites, je ne milite pas pour cela. À un moment donné, il faut se demander où cela commence et où cela s’arrête. Bien sûr que s’il n’y avait pas de permis de pêche, de chasse, il y aurait beaucoup d’excès dans les lacs, dans les forêts, mais il ne faut pas oublier que les gens doivent se nourrir sans toujours payer pour chaque gramme de nourriture qu’ils mettent dans leur corps. Aujourd’hui, il y a des villes et des villages qui interdisent aux gens de cultiver un jardin dans leur propre cour. Il y a aussi des interdictions qui touchent des fermes. Cette idée est en filigrane dans mon film, c’est loin d’être un pamphlet, mais c’est bien que l’on puisse dire cela au cinéma dans un film qui veut rassembler. Je pense qui si on est anarchiste, militant ou écologiste, il y a une réappropriation du territoire qui est à réfléchir, toutefois cela prend encore une fois des balises.
Souley Keïta : On campe un personnage volontaire, bienveillant dans les différents métiers exercés, notamment en tant que pompier, pourtant il y a un feu que tu ne peux pas éteindre, celui de cette famille qui se consume bien aidé par Anthony, pouvez-vous nous en dire plus.
Guillaume Cyr : C’est comme si je voulais être encore plus responsable et montrer ma valeur encore plus, car je perds des points à cause de ma famille. J’ai l’impression que c’est comme si j’avais déjà jeté l’éponge et malheureusement si c’était des amis, mon personnage aurait déjà sacré son camp. Avec la famille, c’est plus complexe. C’est une des questions que Raphaël Ouellet pose qui est jusqu’où l’on va pour sa famille.
En région, plus que dans les villes, cela est encore plus présent d’être associé à sa famille, car il y a beaucoup de business familial et souvent les enfants reprennent les commerces, les garages, les dépanneurs de leurs parents. Parfois, on ne choisit pas sa famille et j’irai plus loin, car parfois on ne choisit pas sa profession. En effet, on peut en être prisonnier de cette vie.
Raphaël Ouellet : Sans oublier que c’est un pompier. Le pompier me permet de l’avoir comme premier répondant dans une scène du film, mais aussi d’avoir toute la thématique du feu. Adam, c’est le bon gars, il est un peu inspiré de Heavy un film de James Mangold. C’est le gars qui est projeté dans un milieu, certes le film de James Mangold n’est pas dans un milieu criminel, mais l’erreur de mon personnage est qu’il ne devrait pas être là à ce moment précis. Il veut s’extirper de cela et même l’univers lui envoie des signaux contraires. Adam doit se battre contre sa famille, contre l’univers, contre le timing de sa vie. C’est le combat de comment je peux devenir ce bon gars.
Pierre-Paul Alain : Il y a une phrase du film qui est « Arsenault un jour, Arsenault toujours ». Adam a des perspectives bienveillantes, notamment avec le garage jusqu’à faire des sacrifices. Anthony n’est pas comme ça, pour moi ce n’est pas un chasseur, c’est un tueur. Il va à la chasse, car c‘est illégal, si c’était légal cela ne le tenterait pas. Je pense que cela agace Adam puisque mon personnage renforce l’aspect criminel autour de la famille. Il apporte ce nuage noir, bien aidé par les autres membres de la famille. Il est nourri par l’adrénaline avec cette volonté de provoquer.
Souley Keïta : S’il ne faut en sacrifier qu’un, ce sera ce jeune loup solitaire, un frère qui se moque de tout. On ressent tout au long du film une évolution chez les autres personnages, excepté le tien, comment vois-tu ton personnage ?
Pierre-Paul Alain : Je ne pense pas qu’il soit rattrapable. C’est un gars qui assume les choix qu’il fait. On pourrait penser que cela peut l’isoler, mais il y a des gens qui le suivent, au contraire de sa famille. C’est le chef d’une meute en dehors du cercle familial. Il y a beaucoup de dialogues intérieurs chez Anthony, car tout se passe en dedans. Il y a une scène où l’on pourrait croire une once d’empathie chez lui, mais il retombe dans ses travers avec cet instinct de survie.
Souley Keïta : La chasse s’impose également entre tes personnages où chacun traque la proie pour l’affaiblir notamment entre Diane et Anthony. C’est assez intéressant de réfléchir sur la manière dont tu amènes ce jeu de manipulation, peux-tu nous glisser quelques mots ?
Raphaël Ouellet : Oui, j’avais une inspiration qui était la fin du film de The Ice storm, avec Sigourney Weaver et Kevin Kline avec l’idée que personne ne gagne et personne ne perd. Sur l’échiquier, chaque pièce à un rapport de proximité avec les autres pièces qui sont sur le jeu. C’est un peu cela l’idée avec tous ces personnages à la fin avec bien des questions à se poser, que ce soit pour les spectateurs ou que ce soit pour les personnages.
Souley Keïta : Je vais reprendre une des phrases de 2020 dans le cinéma québécois, phrase dite par ton personnage dans Souterrain de Sophie Dupuis : « Si ça va bien icitte (tête), ça va bien là-dedans (cœur). » Si je l’associe à ton personnage dans ce film, on ressent l’impression qu’il ne contrôle pas les situations et qu’il ne sait plus où donner de la tête. De ce personnage qui n’arrive pas à éteindre ces incendies qui ravagent ta famille, peux-tu nous en dire plus ?
Guillaume Cyr : Ma famille est tellement remplie de chiens fous dont Anthony, on va cacher des choses au lecteur, car c’est un thriller et que l’on ne veut pas révéler des choses. Mon love interest ne va pas bien aussi et je pense que c’est pour cela qu’il veut avoir le contrôle sur plein d’éléments extérieurs parce que sur sa vie personnelle, il n’en a aucun. Tout lui glisse entre les mains.
Souley Keïta : C’est un film de confrontations, de clashs. On joue sur les antipodes par peur de se sentir inférieur notamment lorsque tu évoques sans cesse « la fille de la ville » que tu voudrais mettre à ton niveau.
Pierre-Paul Alain : Ce n’est pas un sentiment de supériorité ou d’infériorité, je pense surtout que c’est un jugement par rapport aux gens de la ville qui ne savent pas ce que c’est que de vivre dans le bois, de travailler fort dans ce milieu. C’est un jugement horrible, mais Anthony est insouciant, il essaye par tous les moyens de connecter avec elle, en la provoquant, en s’excusant de son comportement, etc.
Souley Keïta : On voit qu’à travers ton film tout prend feu, comme une conjuration à l’encontre des braconniers ou des instances trop longues pour remédier à cela, est-ce que l’idée qui s’en dégage, c’est de faire les choses plus vite ?
Raphaël Ouellet : Oui, il y a quelque chose de judéo-chrétien qui apparaît en filigrane également avec le sacrifice du baptême par le feu. Est-ce que le feu, sans vendre le punch, ne devient pas aussi une sorte d’au revoir à un personnage ? Il y a une réflexion devant le feu. C’est aussi l’idée de la terre brûlée, si je ne peux pas avoir ceci, je m’arrange pour que personne ne puisse l’avoir. Je n’oublie pas toute la notion de sacrifice.
Le film sort à La Maison du Cinéma dès ce vendredi 17 juin et je vous invite à vivre à travers un film qui fera beaucoup parler de lui, en bien.