Dans sa chanson intitulée Pas très original, Ben Mazué s’exprime ainsi : « J’adore savoir, mais comme pour savoir il faut apprendre, alors j’apprends, mais c’est pas un grand plaisir pour moi, c’est comme courir, c’est long, fastidieux, fatigant ».
Il n’y a en effet pas de raccourci pour en venir à maitriser à la perfection son instrument de musique préféré, pour devenir bon en programmation informatique ou pour comprendre les subtilités de la physique quantique. Mais concrètement, comment fait-on pour devenir expert dans un domaine ?
Des gens ordinaires
Il y a plusieurs années, des scientifiques ont voulu savoir ce qui distingue les grands maitres aux échecs des autres joueurs. Est-ce qu’ils ont des quotients intellectuels incroyablement élevés, un raisonnement spatial supérieur à la moyenne ou encore une mémoire à court terme plus efficace ? Eh bien, non, il s’avère qu’ils ne sont exceptionnels dans aucune de ces mesures. Ils se distinguent plutôt par leur capacité à reconnaitre certains modèles propre aux échecs, des schémas qu’ils ont mémorisés grâce à leur vaste expérience et qu’ils sont en mesure de se rappeler très rapidement.
Développer sa mémoire à long terme d’un expert prend beaucoup de temps. Selon une règle popularisée par Malcolm Gladwell en 2008 dans son livre Outliers: The Story of Success, il faudrait consacrer 10 000 heures pour développer une expertise de classe mondiale dans n’importe quel domaine. Mais suffit-il d’engranger les heures à la tâche pour atteindre les plus hauts échelons ? On s’en doute, ce n’est pas si simple : quatre critères additionnels doivent être remplis pour que ce concept de longue pratique fonctionne comme il se doit.
1. Tentatives répétées avec rétroaction
Une joueuse de tennis frappe des centaines de balles régulièrement et voit si ses coups sont bons ou pas. Un maitre aux échecs joue des milliers de parties et sait lorsqu’il gagne ou perd. Une mathématicienne résout une tonne de problèmes et vérifie la validité de ses réponses. Toutes ses tentatives répétées avec rétroaction ont un effet bénéfique sur la progression.
À l’inverse, certains professionnels n’ont pas la chance d’être confrontés à des évènements répétés. Par exemple, les journalistes, les économistes ou encore les spécialistes de la politique étrangère commentant les tendances économiques et politiques sont souvent face à des situations uniques. Des études ont d’ailleurs démontré qu’ils performent très mal pour prévoir le dénouement d’une situation, par exemple le résultat d’une élection ou la fin d’une guerre.
Ainsi, nous devons nous méfier des experts qui n’ont pas pu s’exercer à l’aide d’expériences répétées avec rétroaction.
2. Environnement valide
La seconde condition à remplir est d’avoir un environnement « valide », c’est-à-dire un environnement contenant des régularités qui le rendent au moins quelque peu prévisible. Aux échecs, le jeu est toujours le même, on est alors en présence d’un environnement valide.
En revanche, un joueur à la roulette au casino évolue dans un environnement faiblement valide car la roulette produit un résultat aléatoire, ce qui fait en sorte que ce jeu n’offre aucune régularité à apprendre. Ainsi, le joueur aura beau cumuler des milliers de mises à la roulette, son expertise demeure la même que celle d’un néophyte. C’est également parce qu’ils évoluent dans un environnement faiblement valide que les professionnels de l’investissement ne réussissent généralement pas à obtenir des résultats supérieurs au marché.
3. Rétroaction opportune
Il faut également obtenir une rétroaction opportune (rapide) sur ses actions pour progresser dans ses apprentissages.
Pour comprendre la différence entre une rétroaction opportune et une rétroaction différée, le psychologue Daniel Kahneman oppose l’expérience d’un anesthésiste et d’un radiologue. L’anesthésiste travaille à côté du patient et reçoit des rétroactions rapidement en vérifiant son état de conscience et ses signes vitaux. De son côté, le radiologue n’obtient pas de rétroaction rapide de son diagnostic. L’anesthésiste aura ainsi plus de facilité à apprendre les régularités de son environnement.
Autre exemple, un étudiant recevant une rétroaction rapide de son enseignant sera en mesure de corriger plus rapidement ses erreurs de raisonnement.
4. Sortir de sa zone de confort
Pour apprendre à conduire ou pour maitriser quelques pièces au piano, on peut devenir compétent assez rapidement. Mais pour continuer à développer son expertise, il faut poursuivre la pratique à la limite de ses capacités, pousser au-delà de sa zone de confort. Ceci exige beaucoup de concentration et de répéter méthodiquement des choses non maitrisées. Autrement dit, il ne suffit pas de s’exercer toujours sur la même partition, il faut savoir passer au niveau supérieur.
Il peut être difficile de se forcer à pratiquer délibérément à la limite de ses capacités. C’est pourquoi les entraineurs et les enseignants sont si précieux, ils peuvent reconnaitre les faiblesses et assigner des tâches pour y remédier. Pour en savoir plus sur le sujet, je vous encourage à écouter l’excellente vidéo The 4 things it takes to be an expert de la chaine YouTube Veritasium, dans laquelle ont été puisées les informations de cet article. Bon développement !