Depuis quelques jours, mes nuits sont entrecoupées de halètements et de respirations saccadées. Mes journées sont passées à surveiller les messages s’affichant sur l’écran de mon téléphone, à attendre de ses nouvelles.
C’est qu’il y a cet homme qui partage ma vie depuis plus longtemps que les autres, mais dont je ne parle jamais. Mille excuses, si j’avais oublié de vous parler d’un de mes hommes ! C’est qu’on se connaît depuis pratiquement toujours :
Quand j’étais petite, on a passé beaucoup de temps à jouer ensemble. J’aimais tellement ça que j’en redemandais tout le temps, malgré les tentatives de ma mère de modérer mes ardeurs. N’arrête pas une course-poursuite autour de la table de la cuisine qui le veut… Encore moins l’épique construction d’un château de Lego, surtout si lui était aussi enthousiaste que moi !
Heureusement, lire des livres ou des encyclopédies, chercher des mots inconnus dans le dictionnaire et pointer différents pays sur le globe terrestre étaient des activités qui nous valaient moins de réprimandes de la part des grandes personnes. Même que si on était sages, ça pouvait arriver qu’on aille au musée ensemble.
Adolescente, il m’a beaucoup dit qu’il admirait mon implication étudiante. Et pourtant, lui aussi était terriblement impliqué dans la communauté ! Là-dessus, on se ressemblait beaucoup. Pour joindre l’utile à l’agréable, il a aussi eu son permis et une voiture bien avant moi. Ça m’a évité quelques soucis, les matins où je dormais trop longtemps et ratais mon autobus ! Ça a aussi coupé le sifflet de mes parents qui se plaignaient d’avoir à me transporter à toutes mes activités parascolaires.
Dans ma vie professionnelle, ça a été sensiblement la même chose. Jamais une personne ne m’a autant dit qu’il admirait le travail humain que je faisais. Moi, j’le trouvais – et le trouve encore – humain dans tout ce qu’il faisait, pas rien que le travail !
En plus, il était si drôle ! Il me disait souvent que j’étais presque aussi belle que lui, avec un léger clin d’œil et un sourire en coin. Et les amoureux n’avaient pas intérêt à me faire de la peine – oh non ! – ils auraient risqué de subir sa célèbre « passe du chien qui tousse ». Personne n’a jamais su ce que c’était, mais je crois que ça ajoute au mythe et illustre bien le genre d’humour qu’il avait.
Ces jours-ci, il me manque. Je pense souvent à lui, même en compagnie de mes autres hommes. L’avantage de l’ouverture, c’est qu’ils le savent et que je n’ai pas besoin de faire semblant pour masquer ma peine.
Même si Albert et Frédéric ont beau m’inonder de ronrons et de câlins, rien n’y fait.
Mes derniers jours, je les ai passés à faire la navette entre chez moi et l’hôpital. D’abord, en espérant un rétablissement. Puis, de façon résignée quand le médecin nous a rencontrés et que le personnel médical a apposé l’image d’une colombe sur sa porte.
Ça a été des jours à entendre le souffle de mon grand-papa se saccader, puis s’espacer. À la voir être de moins en moins souvent conscient. À voir ma grand-mère pleurer discrètement à son chevet. À prendre des tours de garde avec tous les membres de la famille disponibles. À partager des encouragements avec les autres familles qui hantent les couloirs de l’hôpital.
Ça a duré jusqu’à ce que le premier homme de ma vie ne s’éteigne.
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Un immense merci à l’unité coronarienne de soins intensifs du CHUS-Fleurimont d’avoir assumé avec autant d’humanité le rôle d’une unité de soins palliatifs, faute de place dans celle-ci. J’trouve ça terriblement quétaine, mais j’vais le dire quand même : c’est vrai que vous êtes du monde de cœur.