Le Québec est un pays très étrange. N’avez-vous jamais trouvé bizarre le fait que nous n’ayons réellement qu’une ou deux grandes villes, bien que nous soyons plus de 8 millions d’habitants ? Alors que l’immense majorité de la population habite en zone urbaine, très peu de gens hors des « grands centres » se revendiquent comme urbains. Cela entraîne des conséquences sur les choix collectifs que nous faisons.
Ces choses-là sont pour les autres
Les Québécois assument très mal leur urbanité. Prenons la ville de Québec, une agglomération d’environ 1 million d’habitants. Comment se fait-il qu’on en soit encore à débattre à savoir si une ville de cette taille mérite ou non un système de transport collectif digne de ce nom ? C’est comme si dès qu’on parle d’infrastructures (autres qu’autoroutières), on s’empêche de réfléchir parce que ces choses-là sont réservées pour Montréal. Ce débat n’est rien de plus que la continuation de la mauvaise blague selon laquelle Québec n’est rien qu’un « gros village ».
À Sherbrooke, la question du commerce et du développement urbain se pose essentiellement dans les mêmes termes. On voit depuis un bon moment le centre-ville se vider de ses commerces. Dans de très nombreux cas, les commerçants ne font que déménager là où les clients se trouvent : en banlieue (Rock Forest, la rue King ouest, les centres commerciaux). Tout cela semble se faire dans une indifférence généralisée. Ce que l’on propose pour renverser la tendance lourde ? Attirer les banlieusards vers le centre-ville en y installant des installations éphémères, et autres mesures essentiellement cosmétiques.
Ce faisant, on évacue la principale variable de l’équation : le nombre. Ce qui tue le centre-ville n’est pas le fait que les banlieusards n’y vont plus. C’est que personne n’habite au centre-ville et donc que les commerces de proximité qu’on voudrait y voir n’ont aucune clientèle… à proximité. En effet, à peine 3000 personnes habitent dans le périmètre du centre-ville, soit environ 2 % de la population de Sherbrooke. Si la Ville avait réellement comme objectif de dynamiser le secteur, c’est au centre-ville qu’elle canaliserait le développement urbain et non pas dans les secteurs d’étalement comme la rue Belvédère sud et les boulevards Monseigneur-Fortier et Lionel-Groulx. Le centre-ville a été à moitié démoli depuis 60 ans pour y mettre des stationnements et autres espaces vacants, notamment sur le plateau Marquette ; à quand une réelle volonté politique pour y diriger les capitaux publics et privés qui serviront au développement ? On peut facilement imaginer un centre-ville à 5000 ou 10 000 habitants avec l’espace non-construit dont on dispose.
Paradoxalement, c’est ce qui est souhaité par la Ville dans sa propre planification ! Le Plan directeur d’aménagement durable du centre-ville de Sherbrooke élaboré en 2016 affirme viser la densification résidentielle au centre-ville en y édifiant 5 % des nouvelles constructions. Cette mesure est trop timide et témoigne par ailleurs de l’état d’esprit avec lequel on planifie : on considère le centre-ville comme un secteur à part du reste de la ville. C’est dans les secteurs d’étalement que se passent les vraies affaires, le centre-ville n’est qu’une bébelle qu’on laissera aux autres le soin de développer.
C’est donc dire qu’à peu près personne ne considère que le développement de Sherbrooke doit se faire par des quartiers urbains, denses et centraux. En d’autres mots, nous sommes tous collectivement responsables du fait que notre ville qui ne sait croître autrement qu’en laissant les promoteurs développer des banlieues moches de manière anarchique. Il est temps que Sherbrooke exerce un leadership pour changer de paradigme et qu’elle commence à assumer son urbanité, comme le font Montréal et Québec, des grandes villes « normales ».
Sherbrooke, grande ville du Québec
Au risque de mal paraphraser le général De Gaulle, qui disait que les grands Hommes le sont devenus pour l’avoir voulu, disons que Sherbrooke et toutes les villes québécoises de taille comparable gagneraient à vouloir être des grandes villes. C’est à tout le moins le premier pas vers un développement plus cohérent. Une « grande » ville n’a pas besoin d’être immensément populeuse ; c’est simplement une ville qui s’assume dans son urbanité.
À partir de là, tout découle : Sherbrooke, en tant que grande ville du Québec, mérite d’avoir des quartiers animés, attrayants et réputés, un centre-ville conséquent, des infrastructures de transport collectif de calibre mondial, des commerces de proximité et de destination, des espaces publics esthétiques et significatifs, bref, vous voyez le portrait. Les élections municipales de cet automne seront une belle occasion de reprendre de contrôle du développement de notre ville. Saurons-nous assumer notre urbanité ?
Samuel Laperrière est bachelier en urbanisme et étudiant en génie informatique