« L’invasion américaine de l’Afghanistan en octobre 2001 était criminelle. Criminelle en raison de l’immense force utilisée pour démolir l’infrastructure physique de l’Afghanistan et pour briser ses liens sociaux », écrivaient le 7 mai dernier Noam Chomsky et Vijay Prashad.
Il y a trois semaines, Owen Ford de la Coalition Hamilton pour Arrêter la Guerre écrivait (bravo au Hamilton Spectator qui a publié sa lettre), en réaction à un éditorial typique des mauvais éditos canadiens, trop proches du pouvoir et de l’armée:
Plutôt que « l’important travail non fini » de sauver des traducteurs afghans de la colère des forces talibanes qui balayent rapidement ce pays, nous considérons qu’un travail efficace consisterait à éviter de tels échecs lamentables à l’avenir.
Après de longues années, qu’avons-nous accompli ? Au moins 125,000 Afghans (180,000, écrit François Brousseau dans Le Devoir) ont perdu la vie, cinq millions de plus ont été chassés de leur pays pour trouver leur chemin ailleurs dans le monde en tant que réfugiés [joints aux 82 millions comptabilisés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés], deux millions de plus sont déplacés à l’intérieur. Au cours des vingt années de guerre, l’Afghanistan est devenu l’un des pays les plus pauvres du monde, avec le revenu des femmes et leur participation à la vie sociale tombant aux plus bas niveaux.
Cent soixante-cinq soldats et diplomates canadiens ont sacrifié leur vie, avec bien davantage de blessés et d’autres accablés à vie par les conséquences du stress post-traumatique. La démocratie canadienne elle-même a été endommagée par la prorogation cynique du Parlement par Stephen Harper pour éviter la question de torture et d’abus des détenus afghans et le peuple canadien a été dépouillé de 18 milliards de dollars, un chiffre conservateur, qui aurait été mieux dépensé pour améliorer la vie familiale des Canadiens à la maison.
Il est clair que l’adhésion du Canada à l’OTAN nous expose à un risque continu de nouvelles guerres désastreuses et que, dans l’intérêt de la paix intérieure et mondiale, nous devons sortir de cette institution obsolète, qui a plus à voir avec la laide projection du pouvoir impérial américain que la sécurité et la défense du peuple canadien.
Le patient travail des Conférences Pugwash
Depuis septembre 2012, grâce aux Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales (prix Nobel de la paix 1995), au moins deux rencontres annuelles s’organisent : à Dubaï aux Émirats Arabes Unis et à Doha au Qatar en discussions avec les dirigeants des talibans afin d’en arriver à établir des programmes de paix politiquement consensuels.
Les conservateurs de Harper encourageaient plutôt les expéditions armées canadiennes pour tuer le plus possible de talibans avec le général Rick Hillier . L’avènement de Trudeau a un peu amélioré nos rapports avec les talibans, lorsqu’il a pris dès 2015 la décision de retirer les troupes canadiennes. Mais on frémit à lire, à l’occasion de ce qu’on appelle « la chute de Kaboul », les prises de position consternantes des éditoriaux et des chefs des six partis canadiens – les médias encouragent leurs lecteurs et spectateurs à compter dans les rangs des partis dits démocratiques le Parti Populaire du Canada du riche complotiste Maxime Bernier, partisan de Trump!
Le journal L’Humanité interviewe la députée Farkhunda Naderi, exilée en Ouzbékistan, qui a encouragé ces rencontres internationales :
« Les talibans ne veulent pas diriger un pays qui n’aurait aucune légitimité et en l’absence de connexion avec ses voisins, avec la région et avec le monde. Rien n’est impossible. Au début de la pandémie, personne ne savait comment faire et maintenant il y a des vaccins. C’est pareil pour l’Afghanistan. S’il y a une volonté commune de faire quelque chose, ce n’est pas impossible. Les talibans sont des êtres humains (…) avec leurs vues, leur logique, leur philosophie politique. Nos partenaires en Afghanistan n’ont pas été assez persévérants pour imposer des réformes et faire suffisamment pression pour ne pas quitter le pays en le laissant dans cette situation. C’est honteux. L’extrémisme n’existe pas qu’en Afghanistan, le monde entier est menacé. Personne ne peut prétendre qu’il est à l’abri. »
Ma première réaction à des rationalisations sur la nature misogyne des Talibans qui n’ont pas attendu la tombée du gouvernement inféodé Ashraf Guani (qui a néanmoins eu le mérite de reconnaître sa défaite), fut d’émettre une comparaison osée : « Peut-on enfin tirer une leçon morale de deux situations similaires, un prince officier de l’armée qui viole une fille de 16 ans pour l’initier à la sexualité (selon Epstein?) et des armées de l’OTAN qui envahissent des pays pour leur apprendre …la démocratie? »
J’ai terminé mes études au Conservatoire de Moscou le 1er janvier 1979. C’était quelques semaines avant que les troupes armées de l’URSS « envahissent » l’Afghanistan, répondant à l’appel du parti communiste au pouvoir dans le cadre des accords de défense mutuelle qui liaient l’URSS à l’État afghan. Contrairement aux chaos du Vietnam le 30 avril 1975 et de Kaboul hier à l’aéroport, le retrait des forces soviétiques laissa place en 1989 à un gouvernement composé de plusieurs ministres-femmes qui survivra jusqu’en 1996.
Armé par les États-Unis, sur les conseils de la CIA, un gouvernement islamiste accèdera alors au pouvoir qu’il occupera deux années de moins, puisqu’en 2001, il sera déposé par une invasion américano-britannique-canadienne. C’était pour appréhender le saoudien Oussama ben Laden, auteur des bombardements des tours jumelles de Manhattan 9/11, que les USA auraient pu éliminer par une opération comme celle menée au Pakistan dix ans plus tard par Obama. Mais les Républicains préfèrent déclarer des guerres, comme celle en 2003 contre l’Iraq, à laquelle Jean Chrétien sous nos conseils refusa de s’allier mais pas ses successeurs, y compris Trudeau.