Les Estriens sont privilégiés de jouir d’un festival international de grande qualité, tel que le Festival Cinéma du Monde Sherbrooke. À cause des contraintes de la pandémie, il a pris une forme originale, celle des Estivales du FCMS, les jeudis, trois films par jour. L’an prochain, dépendamment de la diligence de la population à se faire double-vacciner (pas triple ! Le sud a besoin de vaccins !), il retournera à sa formule traditionnelle en avril.
Des pans d’histoire tragique
Sur cette photo du film Nuestras madres, toutes les femmes ont su vaincre par leur détermination la peur qui se lit encore sur leurs visages. Le réalisateur-scénariste César Díaz les a toutes choisies, d’un même village, pour avoir perdu leurs maris assassinés au Guatemala, il y a plus de trente ans. La plupart ont subi des viols de la police militaire, fortement appuyée par la CIA, afin d’assurer à l’exploitation américaine de perdurer, sans syndicats ni militants des droits de l’homme pour protester contre un génocide raciste qui s’attaquait principalement à la population autochtone entre 1966 et 1992.
Deux figures contrastantes se détachent de l’histoire guatémaltèque : l’ancien président, militaire formé par la tristement célèbre École des Amériques au Panama, le dictateur guatémaltèque Efrain Rios Montt mort dans son lit, après avoir échappé, par une manœuvre avocassière, à une condamnation de génocide en 2013 : plus de deux cent mille exterminations et quarante-cinq mille disparus, pour une population d’alors dix millions, un taux évidemment génocidaire, considérant les indigènes principalement visés.
Rigoberta Menchu, Maya quiché, dont le père a été assassiné et brûlé par les militaires, a participé à la préparation de la Déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies en 1991. Ceci n’a obtenu la sanction royale au Canada que trente ans plus tard, le 27 mai dernier. En reconnaissance de son travail pour la justice sociale, elle a reçu en 1992 le prix Nobel de la paix et fut nommée en 1993 ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO. Elle nous a rencontrés grâce à l’AQOCI (Association québécoise des organismes de coopérations internationales) et à l’ONG (organisation non gouvernementale) Présence autochtone1 .
Attention, chef d’œuvre !
Réalisé et scénarisé par un fils du pays, César Díaz, Nuestras madres alterne scènes de suspense et échanges humains d’une intensité bouleversante, avec les silences respectueux des dialogues naturels, parfois émaillés d’une musique discrète ou alors de fêtes endiablées. Tout est juste dans ce film qui a obtenu la Caméra d’Or du Festival de Cannes – 2019. Malgré sa volonté de ne tourner qu’avec des Guatémaltèques, le réalisateur a dû avoir recours, tout en s’en félicitant, à deux acteurs mexicains professionnels connus, Emma Dib et Armando Espitia, pour les rôles principaux de la mère principale et de son fils.
KFilms Amérique et Média Films : « Guatemala, 2018. Le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile. Les témoignages des victimes s’enchaînent. Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus. Un jour, à travers le récit d’une vieille villageoise, il croit déceler une piste qui lui permettrait de retrouver la trace de son père, guérillero disparu pendant la guerre. Contre l’avis de sa mère, il plonge à corps perdu dans le dossier, à la recherche de la vérité ».
Lui-même à la recherche de son père guérillero disparu, le jeune Díaz a été bouleversé par les témoignages de villageoises dont il salue la résilience par le titre de son œuvre. Il affirme avec raison combien LA GUERRE CIVILE AU GUATEMALA RESTE MÉCONNUE. Au Guatemala, comme au Honduras d’où s’échappent depuis cinq ans des milliers de réfugiés, que Trump voulait écraser par son mur, les Américains avaient installé un dictateur militaire dès 1954, afin de contrôler la culture des bananes pour laquelle ils ne payaient à peu près rien, ne développant réseau ferré et électricité que pour leur transport. Un jour, devant le mouvement révolutionnaire indien exigeant les dûs pour la population, les Américains ont déclenché une guerre barbare qui a duré jusqu’en 1996.
[Sans minimiser le drame des femmes afghanes, qu’il nous soit permis d’écrire, en cette semaine où la propagande des médias placarde en victimes tous les Afghans, y compris les collabos des Américains gardiens de prisons ou cultivateurs du pavot pour le commerce lucratif d’héroïne, que l’action pour sauver les Afghanes est infiniment plus compliquée que le simple petit doigt que le Canada, à la compassion ciblée idéologiquement, aurait pu lever pour sauver les autochtones du génocide et aujourd’hui aider ses survivantes].
« Si les 200 000 morts n’avaient pas été des Indiens, mais des blancs ou des métis, le monde en parlerait davantage, confie Díaz. Le travail de restitution aux familles des corps disparus est péniblement lent. Il est assuré par une seule association indépendante, qui n’a jamais voulu avoir de liens avec l’État coupable, et qui travaille avec des fonds américains, hollandais et canadiens. Le travail est onéreux et interminable car on ne sait pas où se trouvent toutes les fosses. On en découvre quand les gens des villages se décident à parler. La plus grande fosse que l’association a trouvée pour l’instant est située dans une base militaire, et cela a été très dur d ‘y pénétrer. 165 corps y ont été dénombrés.
Il faudrait un effort national, que chaque Guatémaltèque puisse donner son ADN, afin de constituer une gigantesque base de données. On estime qu’on a identifié à ce jour 1 % des disparus, en vingt ans. Si on avait accès aux dossiers militaires, on irait plus vite.
Les accords de paix ont été signés sur la base d’une « réconciliation nationale » qui ne permet pas d’avancer. « Je ne te dis rien, tu ne me dis rien, je ne te juge pas, tu ne me juges pas …et rien ne bouge ». « Nos mères » du titre, sont les véritables dépositaires de la mémoire guatémaltèque, elles tiennent le pays. Si elles lâchent, il s’effondre. Elles tiennent la mémoire, le quotidien, l’éducation et transmettent le savoir, en dépit du patriarcat. Les femmes encaissent toujours la violence quotidienne. »
Avez-vous subi de la violence en tournant le film?
« J’ai eu des soucis face à la violence quotidienne en ville. Quand on tournait, en extérieur comme en intérieur, on avait des gardes armés en permanence, avec plusieurs cercles de sécurité, dont la police nationale. Sinon, de façon générale, j’ai pu tourner partout où je voulais, et même au tribunal. »
Le réalisateur croit que l’ignorance cinématographique des militaires les empêchait de se rendre compte du matériel subversif de son film, sinon ils auraient agi pour le bloquer. Mais en règle générale, il constate qu’« il n’y a aucune volonté politique » [on verra si nos tombes autochtones de nos pensionnats seront diligemment enquêtées, et ce même si les Conservateurs parviennent à reprendre le pouvoir].