« Je relis mon discours une dernière fois. Je pourrais encore reculer, les médias ne sont pas encore convoqués… Non, ma décision est prise. En politique si l’entrée est importante, la sortie l’est tout autant. Comme on dit : il faut prendre le train quand il passe, et savoir en descendre à la bonne gare. » Nous sommes le 24 octobre 2008, à quelques heures d’une conférence de presse. Après plus d’un quart de siècle de politique active (1982-2009), Jean Perrault crée une surprise en annonçant qu’il ne sollicitera pas un nouveau mandat en 2009.
La biographie Monsieur Sherbrooke a été écrite par Louis Gosselin, ancien journaliste et maintenant chargé des communications à la Ville de Sherbrooke. Dans cette biographie parfois complaisante, le lecteur ne trouvera rien de spectaculaire et très peu de révélations; amateurs de règlements de comptes et de scandales politiques s’abstenir. Monsieur Sherbrooke, surnommé ainsi par Jean Charest, ne boit pas, ne fume pas, fait du sport et consacre tous ses dimanches soirs à ses enfants et à celle qu’il surnomme sa ministre de l’intérieur, son épouse.
L’homme n’a certes pas gouverné le Québec ni le Canada, mais il a été à la tête de la ville durant 14 ans, au cours desquels il a connu des succès et certains échecs. Il a participé à la concrétisation de plusieurs projets comme la Fête du Lac des Nations, la fusion municipale, le Marché de la Gare, Cité des rivières, la promenade du Lac des Nations et le Centre des arts de la scène Jean-Besré. En fait, à l’exception du rejet du plan d’urbanisme, Perrault ne semble pas – si on se fie à sa biographie – avoir connu de revers professionnels importants.
Une bonne partie de l’ouvrage est en fait consacrée à sa vie personnelle. Perreault est né à Sherbrooke dans une famille aisée au coin des rues Cambrai et Courcelette. Athlète émérite en ski nautique et alpin, il a participé à plusieurs championnats mondiaux. Il est diplômé de l’Université de Sherbrooke en éducation physique et il a oeuvré pendant plusieurs années à développer le sport au Cégep de Sherbrooke. Faits moins connus : son père s’est enlevé la vie lorsqu’il avait 18 ans et, en 1987, il a été victime d’un burn out suite à un épuisement professionnel. En 2004, il a aussi subi un traumatisme suite au décès de Réal D. Carbonneau dans la descente malavisée de la rivière Magog, à laquelle il participait.
L’éthique de la conviction
Malgré qu’on ait l’impression que ce livre sert davantage de recueil pour l’entourage et les amis que de témoignage historique, il a le mérite de décrire un homme politique passionné. Comme l’affirmait le sociologue Max Weber, l’action politique s’apprécie et se distingue par deux éthiques, l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Ces deux dimensions habitaient clairement celui qui a voué une bonne partie de sa vie à la politique : il a été membre de chacun des conseils municipaux de 1982 à 2009, en plus d’occuper la présidence de l’Union des municipalités du Québec et celle de la Fédération canadienne des municipalités.
La conviction correspond à l’état d’esprit de quelqu’un qui croit fermement à la véracité de ce qu’il pense. Or, tout au long de la biographie écrite au « je » par Louis Gosselin, on décrit un winner, un homme politique qui a foi en lui-même, et la certitude qu’il peut convaincre les autres de le suivre. « Quand je me lance dans un projet ou une élection, je me vois gagnant en partant, même si les chiffres indiquent le contraire. » Son leitmotiv « avait toujours été le même envers la population […] Votez pour moi, et voici où je vais vous emmener! » « Les ministres avec qui je traitais savaient que je défendrais l’intérêt de Sherbrooke avec détermination pour chacun des dossiers que je leur présentais. »
Si l’homme politique en Jean Perrault est motivé par la conviction, cela a aussi pour conséquence qu’il ne vous croira pas lorsque vous l’aviserez qu’il se trompe. À titre d’exemple, il croit encore aujourd’hui que sa défaite référendaire sur le plan d’urbanisme est due au fait que le plan a été mal présenté à la population.
L’éthique de la responsabilité
Dans Monsieur Sherbrooke, Gosselin offre aussi de beaux exemples pratiques de ce que Weber nomme l’éthique de la responsabilité. L’auteur dépeint le maire comme un homme responsable, pragmatique, au-dessus de la partisannerie, ayant un grand souci d’efficacité et une tendance à réajuster moyens et finalités selon les aléas de la situation. « Jean Charest m’a avoué un jour qu’il m’avait toujours trouvé « bon » avec les péquistes, mais la vérité est que j’ai toujours été un « municipal » travaillant d’abord et avant tout pour sa ville, dans le plus grand respect de tous les autres acteurs politiques. » Bernard Landry, quant à lui, aimait dire à Jean Perrault : « On travaille bien ensemble, mais tu as un gros défaut. Tu veux sauver le Canada! ».
On décrit Perreault comme un rassembleur qui aurait eu tendance à confier des tâches importantes à ses adversaires, ceux qui étaient contre ses projets, plutôt qu’à ses alliés. Et ses alliés, Perreault ne s’en cache pas, sont nombreux : Jean Charest, Monique Gagnon-Tremblay, Yvon Vallières et Pierre Reid ont certainement facilité son travail, mais il insiste néanmoins pour dire qu’il n’était pas poussé par la machine libérale et qu’il a eu aussi ses différends avec Jean Charest, principalement dans le dossier des défusions municipales.