Pourquoi les gens ne coopèrent-ils pas davantage? Cela semble pourtant être l’idéal : je vous aide, vous m’aidez, et tout le monde en profite. Malheureusement, la question est plus difficile qu’elle n’y paraît, et pour y réfléchir, je propose cette mise en situation classique du dilemme du prisonnier.
Un complice et vous avez commis un méfait. Un méfait important, du type « vol de banque », ou « don illégal à un parti politique » ou encore « transmission d’informations secrètes sur le gouvernement québécois à Wikileaks ». Vous pensiez avoir commis le crime parfait, mais pas de chance, car des polices viennent de vous arrêter tous les deux. Après avoir passé quelques heures en cellule, un agent vous conduit chacun dans une salle distincte, et vous recevez simultanément l’offre suivante :
« Si tu dénonces ton complice et qu’il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l’autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Si personne ne se dénonce, vous aurez tous deux 6 mois de prison. »[1]
Pas moyen de consulter votre complice, ni de connaître sa réponse avant de donner la vôtre. Alors, quelle sera votre réponse? Prenez trente secondes pour y penser : votre liberté en dépend!
L’idéal semble être de ne pas dénoncer l’autre pour ainsi hériter d’une légère peine commune de 6 mois de prison. Mais si vous gardez le silence, et que votre complice décide de vous vendre, alors vous hériterez de 10 ans de prison. Ouch! Autant chercher à y voir un peu plus clair, et à examiner les différents scénarios possibles, selon la réaction de votre complice :
- s’il vous dénonce, il est préférable que vous le dénonciez également, car ainsi, vous ferez 5 ans de prison au lieu de 10;
- s’il tient sa langue, là encore, vous êtes mieux de le dénoncer pour être libre dès à présent, au lieu de purger 6 mois de prison.
Ainsi, dans tous les cas, si vous souhaitez minimiser votre temps « en dedans », vous avez naturellement intérêt à le dénoncer. Et comme votre complice effectuera le même raisonnement, il vous dénoncera lui aussi, et vous ferez 5 ans de prison chacun.
Le dilemme du prisonnier ainsi présenté est un exemple célèbre de la théorie des jeux. Dans ce jeu, les prisonniers choisissent rationnellement la non-coopération, même s’ils gagnent à coopérer : les incitations à trahir l’autre sont trop fortes.
Ce problème, en apparence artificiel, apparaît sans cesse dans la vie quotidienne. En voici quelques exemples :
[Économie] Un commerce se demande s’il doit ou non baisser ses prix afin de voler des parts de marché à ses concurrents. S’il est le seul à les baisser, il gagnera beaucoup. Par contre, si tous baissent leur prix, tout le monde perd par rapport au statu quo.
[Politique internationale] Considérons la problématique de la course aux armements. Sans armement, la paix règne, et chaque pays peut bonifier ses programmes sociaux au lieu de dilapider ses fonds dans des dépenses militaires inutiles. Mais un pays pourrait alors être tenté de s’armer et de conquérir l’autre.
[Sport] Chaque sportif est tenté de se doper afin d’améliorer ses performances. Mais si chaque concurrent adopte cette stratégie, au final, le classement sera le même.
[Politique] Un politicien ou un parti politique qui décide d’adopter une attitude agressive, voire des comportements illégaux, aura alors un avantage certain sur ses opposants, par exemple en terme d’argent récolté.
En étant attentif, vous remarquerez que des dilemmes du prisonnier se présentent fréquemment autour de vous. Mais comment les résoudre? Devons-nous nous résoudre à passer à côté d’opportunités de coopération? Nous y reviendrons le mois prochain.