Il faut croire qu’à Entrée Libre on cultive un certain goût du risque. Parce que c’est un réel tour d’équilibriste que l’on s’apprête à faire maintenant : prendre le parti de personnes qui tiennent des propos que l’on ne défend pas, et même, soyons franc, que l’on trouve tellement ridicule qu’on les écoute tout juste d’une oreille sans être bien sûr que le message soit capable de se rendre jusqu’au cerveau tellement il est lourd et gras.
La nouvelle tombe en ouverture du téléjournal de Radio-Canada Estrie : « Une complotiste membre du comité de sécurité publique de Sherbrooke ». La nouvelle est ensuite étayée par des captures d’écran de la page Facebook de la personne. On peut voir pêle-mêle le partage d’un post Facebook qui commente la fermeture du compte Facebook et Tweeter du Président D. Trump comme une pression des Démocrates et de la gauche radicale; ainsi qu’un commentaire qui assimile aux Nazi la police qui intervient pour le maintien du couvre-feu.
Des idées pas très propres, on est d’accord. Et on souhaite que les citoyens et citoyennes qui s’impliquent bénévolement dans les différents comités de la ville soient globalement plus raisonnables dans leurs opinions, et partagent une certaine conception des valeurs de respect et de décence commune. A priori, on peut estimer que la police est là pour notre protection et non pour notre coercition. De même, la présidence chaotique et outrancière de D. Trump, avec en climax l’émeute au Capitole le 6 janvier, ne pousse pas à crier au scandale (et encore moins au complot) lorsque les plateformes de communication suspendent son compte. On peut toutefois s’interroger de la légitimité qu’à une compagnie privée– qui n’est pas soumise aux règles de la presse – de juger qui peut ou non s’exprimer sur sa plateforme. Suite aux reportages de Radio-Canada et aux prises de position du maire de Sherbrooke, la citoyenne « complotiste » a démissionné du comité de sécurité de la ville.
Alors, complotiste la dame? Peut-être, probablement, surement même. Et après? Dans quelle mesure être qualifié de « complotiste » par un média basé sur les opinions de la personne est une infraction ou un crime? Critiquer la police, avec des propos insultants certes, fait donc de nous des « complotistes »? Pourtant, quiconque a été dans une manifestation a déjà entendu des mots bien fleuris pour décrire la police. Quels étaient les slogans lors du Printemps érable pour qualifier le zèle de la police dans la répression de la contestation étudiante? Et le slogan de mai 1968 en France passé à la postérité : « CRS = SS ». Cette égalité est fausse (et indécente) aujourd’hui, tout comme elle l’était l’époque. Mais lorsque la police verbalise des personnes itinérantes car elles ne se conforment pas au couvre-feu, est-ce que l’on soutient encore le travail de la police?
« Complotiste », c’est le même adjectif infamant et disqualifiant que l’était « communiste » à l’époque de McCarthy, où les personnes montrant des « sympathies communistes » étaient accusées d’être des « espions à la solde des Soviétiques ». Le terme « complotiste » évolue actuellement pour décrire une pensée déviante, jugées comme non recevable et dangereuse. Elle peut l’être, et c’est la loi qui juge pour ça, pas l’opinion public ni la presse. Et la loi ne sanctionne les opinions que lorsque qu’il y a « un appel à la haine ou à la violence ».
Je n’ai qu’une confiance modérée envers la police et l’autorité de l’État en général. Je suis a priori sceptique lorsque j’entends le discours d’un élu. Et je pense en effet qu’il existe une collusion entre le monde politique et le monde de l’argent. Oui, j’avoue, c’est triste, ce manque de confiance et cette tendance vers la radicalité politique. À partir de là, dans quelle case me mettre? Est-ce que ces idées, que je ne répands pas sur Facebook mais dans un journal, me disqualifient pour être membre d’un comité de la ville de Sherbrooke? Quelles idées faut-il avoir ou non pour être éligible? Être mis à l’index pour des idées qui ne contreviennent pas à la loi, c’est un délit d’opinion. Les idées qui nous déplaisent, on les combat plutôt que de les faire condamner.