«La misère matérielle dans laquelle vivait l’ouvrier industriel du XIXe siècle trouve aujourd’hui son parallèle dans la misère psychologique qui accable le col blanc.»
-C.W. Mills
Au Québec, le productivisme n’est pas remis en question. Les chiffres de plusieurs études montrent effectivement une explosion du temps de travail par semaine, une augmentation de la pression et une précarisation. Malheureusement, cette situation est la cause de bien des maux comme l’explosion du taux de maladies mentales par exemple.
Brisons les tabous, parlons de santé psychologique. Le médecin spécialiste en santé mentale et conseiller à l’Institut national de santé publique du Québec, Michel Vézina est franc. «Oui, le travail rend fou!». Chiffres à l’appui.
Depuis 10 ans, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), le nombre d’indemnisations pour des problèmes psychologiques à été multiplié par six. Pour la même période, l’indice de stress élevé au travail a doublé. La moyenne annuelle de journées d’absence au travail pour cause de santé mentale à triplé depuis 1992-1993, et ce, sans compter le taux de «présentéisme», c’est-à-dire. les personnes qui sont malades, mais présentes au travail. Mais pourquoi une telle situation, serions-nous devenus plus sensibles?
On pointe parfois les personnes victimes des maladies, cherchons plutôt dans l’entreprise et dans les relations de travail. Par exemple, selon Santé Québec, près d’une personne sur cinq serait victime d’intimidation au travail. De plus, quelqu’un vivant un conflit avec son patron et trouvant son travail non valorisant aurait environ 16% plus de maladies coronariennes et 38% plus de crises cardiaques.
Des compagnies semblent plus malades que d’autres. Le rôle de l’entreprise dans le problème est alors clair. Par exemple, en deux ans, France Télécom (en France) a dénombré 45 suicides pour 100 000 employés soit 22,5 par an alors que le taux moyen français est de 16,7. La compagnie est actuellement sous enquête pour homicide involontaire…
D’ici 2020, la dépression sera la première cause d’invalidité dans le monde selon l’Organisation mondiale de la santé. Pourtant, seulement 5% des entreprises disent vouloir contrer les préjugés reliés à la santé mentale. Du côté des employés, un peu moins de la moitié disent ne pas vouloir annoncer leur état dépressif à la compagnie et le quart estiment qu’il est mal vu de s’absenter pour cause de maladie.
Les causes
L’intensification, la précarisation, la hiérarchisation, la complexification et la surcharge de travail qu’imposent les employeurs depuis les mises à pied massives des années 90 sont les principales causes. Les salariés voient leurs performances évaluées individuellement, sont mis en concurrence et doivent s’évaluer entre eux, ce qui brise les liens de solidarité nécessaires à un milieu sain.
Alors que l’explosion de la semaine de travail est incontestable, il est difficile de séparer le travail de la maison (cellulaires, téléavertisseurs, courriel, etc.) Rares sont ceux et celles qui ont vraiment le choix de refuser ces heures supplémentaires. Même les syndicats hésitent à demander une réduction de la semaine de travail.
Parallèlement, l’accessibilité aux vacances diminue fortement. Environ la moitié des Québecois ne réussissent pas à partir en vacances une fois l’an. La raison principale est évidemment d’ordre économique. Toujours est-il que près du tiers des travailleurs disent que de travailler pendant les vacances est valorisé.
Changer la situation
Pour Michel Vézina, ces maux sont condamnables au même titre que la pollution d’une cheminée d’usine: l’entreprise produit un problème et la société la subit. Les entreprises de leur côté s’inquiètent des pertes financières que ces maladies leur coûtent. Elles veulent donc des activités sociales entre employés, des chefs sympathiques, un peu moins de hiérarchie et des communications internes réformées.
Dans un autre sens, Jean Stafford, professeur à l’UQAM, souligne que la culture du temps libre est récente au Québec et relève de manière générale des luttes ouvrières. Il souligne pourtant qu’une grève pour avoir des vacances serait très mal vu ici. «Il y a trois générations, tout le monde ou presque était agriculteur et personne ne prenait de journées de congé.»
Et si la paresse était un droit?