À L’HEURE OÙ LES BOURGEOIS TROUVENT IN DE RESTER AU CENTRE-VILLE, LES PAUVRES DOIVENT-ILS SE TASSER ?*
Dans nos grosses villes, des quartiers appauvris sont laissés à l’abandon parce qu’habités par des ménages locataires pauvres. Ces ménages locataires découvrent que leurs logements attirent soudainement l’attention des développeurs : on veut y construire un stade, une ligne de métro comme la ligne rose ou le REM, on voit aussi des projets dont le but est d’augmenter la valeur foncière du quartier en vue de donner plus de revenus aux villes et aux arrondissements. Dans ces projets, il y a des pistes cyclables, des verdissements de ruelles et bien d’autres choses. Dans ces projets, il y manque l’approbation des citoyens qui y habitent et la prise en charge de leurs besoins. Après les exemples de ces villes, qu’est-ce qui se passe avec le projet « Well Sud » à Sherbrooke ? S’agit-il de revitalisation pour combler les besoins des citoyens du centre-ville ou d’un projet de gentrification pour augmenter la valeur foncière du centre-ville ? Est-ce écologique ? Est-ce démocratique ? Avons-nous affaire à un centre-ville pour tous ?
On fait le choix de l’environnement
Embellir un quartier, développer un transport en commun efficace, verdir pour diminuer les îlots de chaleur, créer des parcs urbains, interdire l’auto pour encourager le transport actif, densifier un quartier pour éviter l’étalement urbain, créer des rues piétonnes, ce sont toutes de bonnes actions. Dans toutes les villes importantes, il y a une pénurie de logements, il y a une partie de la population qui ne peut se payer les logements disponibles, parce que trop chers.
Des immeubles pas entretenus attirent le pic des démolisseurs. Toute amélioration de la qualité de vie d’un quartier amène des logements plus chers et amène les résidents d’origine à se retrouver à la rue : c’est une des pires angoisses. Il pourrait être tentant de refuser les changements environnementaux au nom de la protection des pauvres, mais ce serait un très mauvais réflexe. En effet, les pauvres forment la couche de la population qui a le plus à craindre des changements climatiques. Sherbrooke s’est retrouvée inondée le 31 octobre 2019 et ces inondations peuvent se reproduire de plus en plus souvent.
Le locataire pauvre, c’est l’équivalent dans l’environnement urbain du canari dans la mine de charbon.
Je vais vous parler d’un cas où l’Association est venue en aide à une personne en chaise roulante. Tu te fais réveiller en pleine nuit, on cogne à ta porte, ça crie : « lève-toi Pierre Jean Jacques, inondation, les eaux de la Saint-François s’en viennent ». Il faut que tu te sauves. Tu cherches ton chat. Tu es pauvre, tu es handicapé, tu restes au rez-de-chaussée, les plus riches habitent des quartiers moins sujets à inondations. Le 31 octobre dernier, Pierre Jean Jacques, l’homme en chaise roulante qui angoissait pour son chat, se foutait bien de savoir s’il fallait fêter l’Halloween le 31 octobre ou le 1er novembre. Il est surprenant à quel point certains débats médiatiques intenses n’ont pas de sens dans ces moments dramatiques. Quand on a réglé l’indemnisation avec une fonctionnaire de la sécurité publique, on était début décembre 2019, madame la fonctionnaire m’a demandé la date de l’inondation, car il y en avait eu trop au Québec depuis.
Intégrer une morale environnementale
Une ville ne devrait pas se comporter sans se préoccuper de l’environnement. Je ne parle pas ici d’un comité environnement ou d’un maire qui se promène en voiture électrique. Il faut que la ville de Sherbrooke, comme le reste de la société, entame une transition verte. Cela touche les égouts, les poubelles, le recyclage, Valoris… mais aussi les actions quotidiennes de la Ville. Aujourd’hui, on parle d’urgence climatique. À la Ville de Sherbrooke, il faudrait changer la manière de faire les choses : on ne peut pas en 2020 avoir une planification pour augmenter la circulation automobile au centre-ville. Si un jour, l’urgence climatique devient une priorité de la Ville Sherbrooke, il faudra détruire le stationnement à étage tout beau et tout neuf que l’on s’apprête à construire au coût de 15 millions de dollars. Si l’on augmente la population du centre-ville en densifiant et que ces gens plus nombreux utilisent le transport en commun, comme il est logique de le faire pour l’environnement, il faudra repenser le transport en commun avec un arrêt nodal au centre-ville. On fait le contraire aujourd’hui.
Que doit-on penser de la construction, sur la rue Rhéaume à Saint-Élie, d’une cinquantaine d’unités unifamiliales en pleine nature avec les grenouilles, pour le respect de l’environnement ? C’est au centre-ville ou dans un quartier plus central que l’on devrait construire pour éviter l’étalement urbain et permettre l’accès au transport en commun. Des voitures : de l’étalement urbain, c’est encore des voitures. Il ne faudrait pas oublier que le transport est la principale source de pollution au CO2 dans le territoire du grand Sherbrooke.
Le quartier centre de Sherbrooke est un quartier appauvri, habité par des gens à faibles revenus. Ces citoyens pauvres y habitent, car ils sont proches des services et des loyers plus abordables. Parce qu’ils ne peuvent se payer certains services, ils s’échangent des services : tu gardes mon plus jeune et je dégage ta galerie de sa neige. Pour garder un toit, ils déménagent souvent d’un logement insalubre à un autre logement insalubre. Détruire des logements et construire dans du logement de luxe, cela augmente la détresse et à Sherbrooke, cela ne résout en rien l’urgence climatique. Les projets privés ne densifient pas nécessairement. Ils sont des projets privés laissés au bon vouloir des promoteurs. Ils ne répondent qu’à un besoin : celui de faire de grands profits.
Le logement social, c’est vert
Pour un véritable plan de revitalisation de son centre-ville, qui maintient au centre-ville ses citoyens actuels, la principale clé c’est du logement social qui soit à la hauteur des besoins des citoyens pauvres. Cela implique des investissements que la ville de Sherbrooke seule ne réussit pas à faire. C’est aussi le cas dans d’autres villes grandement affectées par la pauvreté et les changements climatiques : la ville d’Ottawa a déclaré être en état d’urgence de logements et de solutions en itinérance. Elle demande l’aide des gouvernements fédéral et provincial pour 22 millions de dollars. Du logement social couplé et accompagné par une transition verte de la ville de Sherbrooke, cela pourrait ressembler à un plan vert qui respecte le principe de justice sociale. Un plan écoresponsable qui tient compte de l’urgence climatique, du droit au logement, du droit de cité. Un centre-ville vert pour tous.
Pour l’association des locataires de Sherbrooke, il est temps de passer à l’action
Sherbrooke vit aussi une grave crise du logement. Les loyers ont augmenté deux fois plus vite que les revenus, il y a peu de logements disponibles, les ménages locataires se privent de nourriture et de médicaments pour rester en logement et certains sont à la rue. La ville de Sherbrooke exige que l’on détruise des bâtiments impropres à l’habitation sans que les locataires évincés aient de solution de logement : les refuges sont à pleine capacité et débordent. Il y a un état d’urgence à Sherbrooke à cause de la situation catastrophique du logement. Il est temps de passer à l’action. Le 23 mai* prochain à partir de 15 heures au coin des rues Montréal, Dufferin et Moore, sur la pelouse du parc J.M. Mitchel, l’association des locataires de Sherbrooke vous invite à venir y monter vos tentes avec nous. Pour demander que la ville de Sherbrooke se déclare en « état d’urgence logement » et demande à Québec et Ottawa de débloquer des sommes pour construire 300 unités de logement social par année à Sherbrooke.
*Ce texte a été rédigé avant le confinement (ndlr)