PARLER VRAI – DÉTOXIFIER LE LANGAGE

Date : 9 juin 2020
| Chroniqueur.es : Fanie Lebrun
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EN QUESTIONNANT LA « LOGIQUE DE RÉPRESSION EXCESSIVE » CONCERNANT L’AMENDE DE 1000 $ DOLLARS AUX GENS QUI NE RESPECTENT PAS LES CONDITIONS DE CONFINEMENT, J’AI REVU LE TOPO EN CONSIDÉRANT QUE LORSQU’IL Y A RISQUE DE MORT D’ENFANT EN ZONE SCOLAIRE L’AMENDE EST DE MOINS DE 300 $, ALORS POURQUOI? VOICI POUR LE FOND… ET LA FORME MAINTENANT? QUELS STYLES DE LANGAGES SERONT UTILISÉS AU NOM DE LA SANTÉ PUBLIQUE POUR COMPROMETTRE NOTRE INTÉGRITÉ INTELLECTUELLE? QUELS SERONT LES ARGUMENTS POST-PANDÉMIQUES POUR JUSTIFIER LES DÉCISIONS ÉCONOMIQUES? DRÔLEMENT, C’EST UN AMI QUI M’A INSPIRÉ PAR SON SCEPTICISME LÉGENDAIRE ET M’A INITIÉ À LA « DÉTOXIFICATION DU LANGAGE ».

Le concept issu d’Inculture(s) de Franck Lepage nous amène à décrypter la langue de bois, celle qui parle beaucoup pour dire peu. La « langue de chêne » utilisée avant la révolution (bolchévique) qualifiait la bureaucratie du tsar et cela est devenu « langue de bois » pour le discours idéologique de l’URSS. Ensuite, sont venues les entreprises de relations publiques pour produire du contenu, organiser les mots pour penser en amont à notre place, la masse.

On ne parle pas ici de lapsus, avec l’emploi involontaire d’un mot par un autre. Comme disait M.Fitzgibbon au point de presse du 28 avril dernier: « donc, il y a toute la question de l’information, la démagogie qu’il faut faire aux gens. Je pense qu’on a le temps… » et l’argent des contribuables aussi.

La pédagogie (pas la démagogie), on n’en a pas besoin puisque Mme Guilbault a souligné au point de presse du 30 avril, « si on est prudents, si on est dociles et si on est disciplinés, on va réussir ce plan de réouverture des régions ».

Si nous ne l’étions pas, que ce se passerait-il? En fait, cela ne peut pas arriver puisque c’est orchestré, fignolé, prévu; pas de grain de sable dans l’engrenage.

Même si « dociles » n’était certainement pas prévu au plan, observez au nom de quoi on impose, de quelle manière on s’y prend et par quel glissement et usage de mots on exige notre « collaboration ».

Si certains pensent que cela semble trop conspirationniste, qu’il n’y a pas de relations publiques derrière les points de presse, refermez les yeux pour voir s’il est encore possible de rêver?

Sinon pourquoi en coûterait-il 1,7 M$ pour « le contrat accordé par le gouvernement Legault à la firme de consultants McKinsey pour l’aider à préparer le déconfinement du Québec » ? Cela « fait sourciller élus et experts. Ceux-ci s’interrogent notamment sur la pertinence d’impliquer une entreprise privée dans une réflexion qui touche d’abord la santé publique » (Guillaume Bourgault-Côté 13 mai 2020, Le Devoir).

Qui utilisent la langue de bois ?
Ceux qui ont un intérêt à teinter les structures relationnelles (fais ce qu’on te dit) comme les institutions, le milieu professionnel et le politique. Nous, fidèles usagers, travailleur·e·s et citoyen·ne·s, nous finissons par nous mettre au pas en adoptant un langage qui ne rime plus à rien. Déconnecté, loin d’être en phase avec la réalité et de tenir compte des contextes, plus le langage devient opaque, plus les nuances prennent le bord.

La langue de bois a pour « but de masquer une absence d’information précise, pour éviter de répondre à des questions embarrassantes, ne pas attirer l’attention sur un argumentaire défaillant, pour ne pas choquer son interlocuteur, dissimuler une vérité désagréable tout en feignant de la décrire, cacher des objectifs inavouables, faire adhérer à une idée en donnant l’impression de s’intéresser aux préoccupations du plus grand nombre, imposer une idéologie ou une vision du monde ». Ce ne sont pas les raisons qui manquent, ni les moyens.

La post-pandémie présentera un superbe défi de détoxification du langage, à savoir repérer le vent du vrai. Normand Baillargeon (qui s’est exprimé dans Entrée Libre, au n° 212 en novembre 2018) a fait le Petit cours d’autodéfense intellectuelle et le Scop Pavé s’en est inspiré pour en faire de l’éducation populaire. Il faut voir DataGueule et leur vidéo « Animer un atelier de désintoxication du langage » pour voir l’ampleur de la tâche.

Cette vidéo a attiré mon attention pour me faire prendre conscience que l’on peut fabriquer les éléments de langage pour rendre les gens apathiques, voire les amener à douter de leur « intelligence ». On peut même leur faire croire qu’à force de trop d’information, ils paralyseront, paniqueront, croiront que ce n’est pas bon de savoir, de comprendre. Mais à quel moment apprendrons-nous ? La vie est faite de défis complexes, cela ne date pas d’hier! Un jour ou l’autre, il nous faudra apprendre à (se) gérer! Sauf qu’on nous rappelle, répète et martèle combien on est incapable d’y faire face, à l’information.

Comment travailler les politiques publiques à partir de l’intelligence collective si la base du langage et les pratiques infantilisent? Cela demande un effort et un recul critique pour sortir de la soumission et entrer dans l’action. On le sait bien que « le savoir, c’est le pouvoir ».

Intéressons-nous au discours, apprenons à reconnaitre les styles de langages, rejoignez les groupes de détoxification de langage de la post-pandémie. Pendant la pandémie, on s’en sort bien, c’est l’après qui pourrait inquiéter lorsqu’il sera le temps de vendre la salade des choix politiques impopulaires ou confus, difficiles à faire avaler. Les discours seront peut-être à la sauce de figures d’amplification comme les hyperboles – pour nommer la réalité par un terme durcissant, exagérer une expression ou des faits pour produire une forte impression à la d’une crise extrême.

Peut-être y aura-t-il des pléonasmes : répétitions redondantes pour crédibiliser, pour renforcer, comme « notre première priorité est de vous avertir à l’avance ». L’oxymore avec l’alliance de deux mots d’allure contradictoire tel qu’une douce violence. Même si « un avenir prévisible » annoncé par le gouvernement dans le point de presse du 24 mars 2020, quoique douteux cela n’en est pas un!

Que dire des concepts opérationnels qui empêchent la réflexion en orientant tout de suite vers l’action avec des mots valises tels que l’importance de l’infologistique dans le traçage des cas. Un mot-valise a son utilité de « par la troncation et la fusion de deux mots existants pour en créer un nouveau qui conserve le début du premier mot et la fin du second; […] ils permettent d’enrichir le vocabulaire » (définition de La Toupie.org).

Plus on oriente le discours, moins on en dit, et moins on en dit, moins on en sait, ce qui modifie le regard sur nos rôles et nos actions. Ah oui, cela fonctionne à l’inverse: les dirigeants nous parlent pour diriger et nous, on peut faire de même. « Qu’est-ce que l’on peut faire pour amener les élus à changer et à prendre de bonnes décisions », Jancovici dirait (voir sa vidéo #6), « à partir du moment que l’on s’exprime différemment et que l’on est un certain nombre à le faire ça finit par parler aux élus. On vise les discours et les actes ». Repenser et redéfinir notre rôle de citoyen·ne. Dire non, cela suffit. On va vous dire ce que l’on vit et pense, ce sur quoi on veut avoir de l’information et agir. Remettre des mots sur ce que nous vivons et dire ce qui nous apparaît le plus important et le plus urgent.

Qu’Horacio danse ne me choque pas, les paroles de la chanson, elles oui! « Suspendre tous mes droits je te donne le Go », C’est moi ou on ne regarde pas à la bonne place dans cette polémique?

Au profit du pouvoir, la peur pour mieux contrôler
Le PPC (pouvoir-peur-contrôle) passe par des éléments de langage. Si on ne fait pas attention, nous en aurons plein la gueule au nom de la santé, de l’économie, de l’éducation, etc.
La peur — Au fait, qui a dit que la peur n’était pas une bonne chose? Que la panique était la seule réponse à la peur? Qui ne dit pas que, tel un bon parent autoritaire, c’est le gouvernement qui a peur de perdre le contrôle (et la face) ? Pourquoi n’exposerait-on pas les paramètres qui rendent difficiles les projections de divers scénarios (économique, pandémique, etc.) ? Si la seule réponse était la peur, c’est peut-être parce qu’on nous le répète, le martèle même. En laissant croire que nous ne serons pas capables de le prendre ce contrôle, pauvres de nous, simples d’esprit et juste bon à obéir et à se soumettre… et à voter à tous les quatre ans. Pourquoi cela ne serait-il pas utile à une meilleure compréhension des défis et, par le fait même, à augmenter notre autonomie et l’imputabilité (pour porter la responsabilité) de nos décisions? Surtout si la situation évolue ou que l’on doive changer les plans, au lieu d’accuser « papa Legault, mononcle Aruba et/ou matante McCann » de s’être trompés tels des enfants déstabilisés – « oui mais tu nous avais pas dit ça! », nous pourrons adopter la meilleure réaction possible avec les comportements les plus adéquats selon les contextes changeants.

Le pouvoir, c’est eux, c’est nous, c’est vous. C’est cesser le déni et cesser de détourner le regard. Nous n’en sommes pas là par hasard. Qui veut trouve des moyens, qui ne veut pas trouve des excuses
Il y a un devoir de s’intéresser à la santé, l’économie, l’éducation, etc. Au langage et au choix des mots surtout. Parce que si ce n’est pas nommé, c’est inhibé. Il n’y a pas de lutte possible ou de remise en question : « ça n’existe pas ». On subit passivement. Il faut pouvoir nommer pour déconstruire la langue de bois… ou protéger nos droits du moins.

« La peur de partager le pouvoir et de perdre le contrôle. »
Sinon, le contrôle, c’est d’induire l’incapacité de choisir, de soumettre aux choix imposés par les autorités. C’est eux qui décident. Pas de place pour les nuances, l’adaptation au contexte et pour le jugement selon les cas. « Au-delà des droits et libertés » reconnus dans les chartes, le Québec pourrait donc éventuellement imposer le port du masque à la population, a soutenu le Dr Arruda, qui attend de voir si les gens vont se plier à la consigne, avant de sortir le bâton. « Quand on brime les droits individuels, sur la perspective d’un droit collectif, il faut avoir de “ bonnes argumentaires ” pour le faire », a-t-il dit (Christian Labarre-Dufresne, 12 mai 2020, HuffPost).

La peur de partager le pouvoir et de perdre le contrôle. Si ce n’est déjà bien amorcé, jusqu’où cela ira ou n’ira pas? « La décision d’écarter la docteure Joanne Liu, sommité internationale en matière de lutte contre les épidémies, des groupes d’experts du gouvernement aurait été motivée par une crainte qu’elle ne puisse être contrôlée, selon des sources qui ont intercédé en sa faveur auprès du premier ministre Legault. On lui a offert d’aller dans le Grand Nord. Pour eux, son expérience en Afrique coïncidait plus avec les réalités autochtones » (Sophie Langlois, 19 avril 2020 Radio-Canada). Celle-là m’apparaît doublement honteuse : la docteure n’est pas adéquate pour traiter de la situation pandémique du Québec et elle est bonne pour les communautés autochtones vivant dans des conditions similaires à certaines régions d’Afrique. Wow!

En 2020, nous ne sommes pas encore à armes égales sauf si nous nous fabriquons une expertise sur le langage. Demandons-nous si nous allons dans la bonne direction. Comment sommes-nous en mesure de le savoir si on ne nous dit pas « les vraies choses »? S’éduquer par la détoxification serait peut-être un pas vers la prise de conscience de ce qu’on ne nous dit pas ou ne souhaite pas que l’on sache? En dépit de la peur, du pouvoir et du contrôle, c’est primordial de « parler vrai » et les actions sont la preuve de la valeur des intérêts.

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