Le ras-le-bol sans précédent d’une jeunesse sans emploi envers le régime corrompu et répressif de Zine el-Abidine Ben Ali a connu un dénouement historique, le 14 janvier dernier, après un mois d’affrontements dans les rues. Au terme de nombreuses émeutes sanglantes ayant éclaté jusqu’en pleine capitale, le président n’a eu d’autre choix que de quitter le pays qu’il dirigeait d’une main de fer depuis 23 ans.
Ben Ali a d’abord tenté de mater la rébellion, attribuant les échauffourées à une poignée de terroristes et de pilleurs, qu’il a refusé de reconnaître comme des manifestants et des opposants politiques. Les policiers ont alors ouvert le feu.
Puis, Ben Ali a reconnu que les gens avaient raison d’espérer mieux, et qu’il les avait compris. Pour ce faire, il a pris soin de s’exprimer en arabe dialectal, populaire, lui qui d’ordinaire s’exprime dans la langue classique. Pour le peuple tunisien, visiblement, c’était trop peu, trop tard.
Devant l’ampleur des révoltes et l’agacement de la communauté internationale face à la situation, Ben Ali a tenté en vain de calmer le jeu en y allant de nombreuses promesses : création de 300 000 emplois d’ici 2012, baisse du prix du pain, du lait et du sucre, déblocage de sites Internet jusqu’alors interdits (YouTube, DailyMotion), engagement à garantir la liberté d’expression, à ne pas briguer un prochain mandat, etc. Mais rien n’a su apaiser la colère du peuple.
Il avait promis d’instaurer la démocratie en 1987
Lors de son arrivée au pouvoir, en 1987, l’homme fort du pays avait séduit les Tunisiens en abolissant la règle de la présidence à vie, en créant diverses mesures de sécurité sociale et en garantissant le respect des libertés individuelles et démocratiques. Après près d’un quart de siècle de règne sans partage, au cours duquel il s’est fait réélire cinq fois et a adopté des lois lui permettant d’être réélu à vie et de bénéficier de l’immunité judiciaire, Ben Ali ne jouissait plus d’aucune crédibilité devant son peuple.
Sherbrookois depuis plus de 10 ans, Sami Bensaid se souvient de la vague d’espoir et d’enthousiasme qui avait accompagné l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, il y a 23 ans : « On y avait tous cru, il promettait l’instauration de la démocratie dans un pays arabe! »
Au lendemain du départ précipité de son président, de véritables défis attendent la Tunisie, puisque les sbires du régime sont toujours en place. « Ils contrôlent les médias et font peur à la population en lui disant de rester à la maison. Les policiers maintiennent le chaos en tirant toujours sur les gens, en s’introduisant dans les demeures pour violer les femmes. Les quartiers doivent se protéger », explique M. Bensaid, dont la mère et la sœur vivent actuellement en Tunisie.
Selon lui, la gendarmerie présidentielle communique de fausses informations à l’armée, en annonçant à la radio, par exemple, des émeutes bidon. Pendant que les militaires se rendent aux endroits en question, les milices pro-Ben Ali ont le champ libre pour s’adonner aux saccages et terroriser la population. « Le RCD (le parti présidentiel) doit partir, il en est à foutre la terreur dans les rues afin de faire croire au monde entier que sans Ben Ali, le pays est en proie à un désordre social dangereux », affirme M. Bensaid.
L’importance d’Internet et des médias sociaux
Les Tunisiens ont peur, très peur. Toutefois, cette fois-ci, ils ont vu se réaliser un grand rêve auquel ils ont cru très fort, et nous y avons toutes et tous assisté aux quatre coins du monde, sous l’œil numérique des YouTube, Facebook et Twitter.
En effet, l’ensemble de la diaspora tunisienne se mobilise, par le biais d’Internet, sur toute la planète, s’échange de l’information, appelle les gens à faire preuve de prudence. « La prochaine étape sera de faire tomber l’élite en place, si nous voulons réellement aspirer à un profond changement », explique Sami Bensaid. Il admet du coup que le défi sera colossal, que l’ensemble des gouvernements maghrébins des pays voisins ne voient pas d’un bon œil cette « Révolution de jasmin », redoutant à leur tour un vent de contestation au sein de leur propre population. Quant à la communauté internationale, si elle dit souhaiter rapidement des élections justes et libres, ne reste plus qu’à espérer qu’elle soutiendra véritablement le peuple tunisien dans la première transition démocratique de son histoire.