J’ai envie de te raconter l’histoire d’une débarque. Plus précisément, la mienne.
C’est qu’un moment donné, suite à plusieurs évènements, y’a la grisaille qui s’est installée dans ma vie. Quelque chose de temporaire, que j’pensais. Quelque chose qui se soigne avec un meilleur rythme de vie – huiles essentielles, yoga et gris-gris.
Un moment donné, tout prend le bord: la job, la ville, l’appart. Le gris s’intensifie: je pleure, je dors, je maigris.
J’veux absolument maintenir la cadence d’étudier et travailler, sans jamais m’arrêter. J’vois une psy quelques fois, mais j’me commets pas vraiment. J’préfère contourner les situations qui m’font souffrir. J’dois juste être fatiguée. Depuis un an, non-stop et en empirant.
J’manque de plus en plus souvent mes cours. J’porte la douleur des autres à bout de bras, pour mieux ravaler la mienne. Au travail, ça fait longtemps que je ne performe plus. Ça fait longtemps que ma mémoire et ma concentration ont quitté le navire. À la maison, j’passe mes temps libres à pleurer et dormir. L’idée d’aller faire l’épicerie me paralyse. Le chum du moment trouve ça un peu gossant, sans comprendre.
Puis, y’a les crises. Celles où j’ai la poitrine qui s’écrase de douleur, la gorge nouée et où j’m’étouffe avec mes propres sanglots. Dans ces instants-là, il m’est arrivé de fouiller le contenu de la pharmacie ou de tester le tranchant d’un couteau. Mes amis se moquent souvent du fait que mes couteaux de cuisine sont toujours émoussés, sans savoir que ça m’a souvent évité le pire.
Dans ma tête, j’commence à faire le bilan de ma vie jusqu’à présent, en opposition à la douleur ressentie. J’ai chassé l’idée fugace de m’enlever la vie quelques fois. Je ne m’y suis encore jamais autorisée, mais l’idée s’est mise à spiraler dans ma tête de plus en plus souvent. En me rendant au travail, l’envie me prenait parfois de crisser mon auto dans l’décor.
Mes proches me témoignent de plus en plus souvent qu’ils sont inquiets pour moi. J’m’en veux d’être un poids et qu’ils s’en fassent autant.
Puis, un matin en allant travailler, j’ai un accident d’auto.
C’est une fausse manœuvre que je ne suis pas parvenue à éviter, rien de voulu. Sauf que quand nos véhicules s’immobilisent, j’me surprends à penser que j’aurais souhaité que l’accident soit plus grave, pour que je n’aie plus rien à gérer. En voyant le couple de personnes âgées sortir de leur auto, un peu confus, j’m’en veux d’avoir eu une pensée pareille. J’refuse l’ambulance et je continue ma journée, avec ce qu’il me reste de véhicule. J’suis à deux doigts de sauter.
À la fin de la journée, je contacte les assurances. Rien ne peut être dédommagé. J’ai l’dedans qui s’effondre, j’ressens plus rien.
C’est rien que du matériel, sauf que tout me paraît insurmontable. J’commence à avoir de drôles d’idées et à avoir peur de c’que je pourrais faire. J’le sais pas encore, mais c’est un point névralgique, dans ma vie. C’est là que je décide si j’arrête ou j’continue. Pour tout.
Le lendemain, j’décide de me rendre à l’urgence. J’entre pour des douleurs liées à l’accident; j’ressors avec des antidépresseurs et un suivi. Ironiquement, mon accident d’auto m’a sauvé la vie, en étant un prétexte pour aller chercher de l’aide. Rien de magique, mais j’me sens déjà mieux.
Je sais bien que ce n’est pas une visite à l’hôpital qui change tout. Pour ma part, ça a pris deux essais de médications, une travailleuse sociale, une psychologue – que je vois toujours – et des changements majeurs dans presque toutes les sphères de ma vie pour aller mieux, et ce, au bout de plusieurs mois. Sauf que le premier pas, soit celui de demander de l’aide, c’est le plus difficile à faire.
Le 10 septembre, c’est la journée mondiale de prévention du suicide. C’est aussi ma fête. Pour ma fête, ça me ferait bien plaisir, si t’attendais pas de crisser ton char dans le décor ou de frôler la catastrophe pour aller chercher de l’aide.
J’te laisse ici deux numéros bien utiles, si toi aussi, t’as des drôles d’idées.
- JEVI: 1 866 277-3553
- Urgence sociale: 811