Je tiens à dire que je n’ai pas l’intention que le texte ci-dessous soit représentatif de toutes les femmes trans. Il s’agit plutôt d’un témoignage de ma relation avec Sophie vue à travers de ma perception, de ma subjectivité. Je tiens à dire aussi que le contenu de ce texte a été approuvé par Sophie.
J’ai fait la connaissance de Guillaume en 2009 lors d’un cours en arts visuels à l’Université de Sherbrooke. Il avait 24 ans et moi 36. On était assis l’un à côté de l’autre en train de peindre nos autoportraits lorsque nos regards se sont croisés pour la première fois comme un coup de foudre.
En effet, je me suis senti bouleversé par quelque chose que j’ai remarqué au fond de ses yeux, dans son dos penché sur son œuvre, dans ses bras tournant doucement autour de son corps petit et frêle, assoiffé de compréhension, d’amour. Peut-être que je voyais le reflet de moi-même.
On est parvenu à s’échanger quelques mots ponctués de silences et d’hésitations. Il y avait une urgence de nous rapprocher dans les mouvements nerveux de nos mains dessinant, dans nos lèvres murmurant des mots incongrus.
Et c’était dans ces instants d’émerveillement de nos êtres qu’on s’est précipité vers le gouffre au fond de nous-mêmes, vers le même vide qui allait nous unir dans une amitié profonde et intense, fondée sur le désir d’aller explorer les élans les plus profonds de nos cœurs, d’aimer sans mesure.
J’habitais près de la salle de classe et j’invitais souvent Guillaume pour venir chez moi après les cours afin d’échanger des idées. Nous étions portés à discuter longuement de sujets liés au bien et au mal, au divin et au profane. On croyait en une décadence morale se répandant dans tous les êtres, comme si le monde était dans l’imminence de s’écrouler…
Dès le début de notre amitié, je me sentais rassuré, voire guidé par lui, car il me prêtait toujours une oreille attentive dans mon chaos émotionnel et psychique. Il m’a toujours laissé croire que malgré mes problèmes psychiatriques, je pouvais envisager une vie digne d’amour, de respect.
Le moment le plus marquant de notre amitié m’est arrivé il y a deux ans, quand Guillaume m’a dévoilé qu’il était une femme à l’intérieur, c’est-à-dire, qu’il était une femme qui était née dans le mauvais corps: une femme trans, qu’il a nommée Sophie. Sur le coup de cette révélation, j’étais à la fois troublé et à la fois intimement convaincu de ne jamais l’abandonner.
D’ailleurs, quel honneur de l’accompagner à travers des chemins sinueux et fascinants après de longues années de refoulement de ses vrais désirs, de déni de sa véritable identité.
Graduellement, Sophie commençait à s’habiller d’une manière plus féminine, à se maquiller si bellement, à découvrir sa propre démarche à l’intérieur d’elle-même.
De plus en plus, elle rayonne d’une beauté et d’une joie de vivre remarquable par son sourire et chaque geste qu’elle pose, par son cœur accueillant et affectueux.
Or, l’appuyer dans sa démarche était, par moment, une lourde épreuve d’ordre émotionnel, mental. Nous traversons encore cette période difficile de remise en question et de dépouillement d’idées reçues transmises, notamment, par la religion chrétienne, à travers l’interprétation plus répandue du récit biblique d’Adam et Ève. Selon cette vision, la détermination du sexe de l’enfant serait faite d’après les organes génitaux externes. Alors, aucune ambiguïté n’est prise en compte, à l’exemple de Sophie: son sexe biologique ne correspond pas à son identité de genre.
Évidemment, il s’agit d’un sujet d’une vertigineuse complexité qui demanderait une réflexion au-delà de nos cadres religieux, culturels et de nos préférences personnelles.