Mauvais genre
Chloé Cruchaudet, 2013
Quand on aime le vin rouge, un verre de cidre peut pousser à bien des choses. C’est pour une raison aussi futile que Paul Grappe va enfiler la robe rouge de sa femme Louise Landy et sortir tout en femme vêtue de la chambre d’hôtel où il se planque depuis qu’il a déserté les tranchées de 14-18. Un dessin aux tons sombres et mats, coloré avec parcimonie, tranchant et délicatesse, rajoute du corps à cette histoire d’homme en femme, de vie de tous les jours, d’une vie d’amour. Louise apprend à son mari ce que c’est que d’être femme au début du XXe siècle, et Paul va découvrir en lui plus que sa part de féminité qui le transformera en Suzanne. Apprendre à être une femme c’est vivre dans sa chair le patriarcat, apprendre à baisser les yeux, découvrir le raffinement de la séduction. Être Suzanne, c’est ne plus avoir besoin de faire la guerre et jouer chaque nuit les « jeux de l’amour et du hasard » dans le monde hypersexué et interlope du bois de Boulogne. Schizophrénie? Retour sur terre? C’est un juge enfilant sa robe noire qui tranchera l’histoire de Paul.
Odile et les crocodiles
Chantal Montellier, 1984
Dès les premières images, le graphisme bichrome de dégradés de verts et de noirs et les traits tranchants et plats du dessin comme des pochoirs nous intègrent dans l’univers punk et no future des années 1980. Odile quitte le centre d’achat et culturel des 3 temps, « 1200 commerces, un seul théâtre », où elle joue avec sa troupe, pour rejoindre son auto dans le parking souterrain. C’est là qu’elle sera violée par trois jeunes hommes, mais c’est leur relaxe par le juge qui fera basculer Odile dans un monde où il faut chasser les crocodiles. Car ces prédateurs à sang froid sont partout. Ils ont chacun leur technique d’approche, promettent chacun leur part de rêve, mais qui au fond trahit leur même nature : les femmes sont une proie dont ils se repaissent. Odile exercera sa vengeance jusqu’au bout, toujours, même lorsque la brûlure de l’injustice sera éteinte, même face à l’amour. Car « jamais » elle n’oubliera.
Rosalie Blum
Camille Jourdy, 2007-2009
Vincent s’ennuie dans sa vie et y introduit un peu d’excitation et d’intrigue en suivant Rosalie. Rosalie s’ennuie dans sa vie pour enterrer la folie destructrice de son adolescence, mais n’en a pas moins remarqué que quelqu’un la suit. Aude s’ennuie dans sa vie malgré un « Kolocataire » qui entretient une ménagerie de cirque dans leur appartement. « La fainéantise engendre la fainéantise, et la lenteur engendre la lenteur ». C’est en proposant à sa nièce Aude de suivre Vincent pour comprendre qui il est, et pourquoi il la suit, que Rosalie va introduire plus de vie dans leurs vies. Une histoire du quotidien avec des dessins plein de couleurs sur les choses banales que l’on ne remarque même plus à les croiser tous les jours. Une histoire avec beaucoup de poésie pour enchanter les impasses implacables que l’on vit tous dans une vie. Suivre Rosalie Blum, c’est faire le voyage vers le soi-même que l’on veut réveiller, et patiemment scier la chaîne du boulet que l’on traîne depuis l’enfance.