(Ce texte a été présenté à la séance du conseil municipal de Sherbrooke le 18 décembre 2017)
Je tiens d’abord à préciser que je m’exprime ici en mon nom personnel, en tant que citoyenne, comme je l’ai toujours fait.
J’aimerais revenir sur les événements des dernières semaines entourant le congédiement de Daniel Bergeron, ancien directeur de cabinet de Steve Lussier. Un geste de transparence de Pascal Cyr a permis de lever le voile sur des pratiques douteuses ayant cours à l’Hôtel de Ville. Je rappelle les faits que personne n’a contestés : M. Bergeron, pendant qu’il était à l’emploi du maire, a contacté des citoyens pour leur demander d’utiliser la période de questions du conseil municipal afin de faire des pressions sur une élue, Évelyne Beaudin, dans le but qu’elle abandonne son droit de former un cabinet.
Rappelons ici que si Mme Beaudin s’abstient de former un cabinet, et que M. Boutin ne se prévaut pas non plus de son droit, comme il l’a annoncé, c’est un 1 million de dollars dont disposerait M. Lussier pour former son propre cabinet. C’est donc lui qui serait le principal bénéficiaire d’un changement de position de la part de Mme Beaudin, et il ne faut pas l’oublier.
La manière dont s’est terminée cette saga laisse planer le doute sur certaines choses : on ne saura pas d’où venait cette commande. On peut toutefois conclure que M. Lussier a manqué de jugement, puisqu’il s’est entouré d’une personne dont le sens de l’éthique et l’esprit critique sont problématiques, et de transparence, puisqu’il a refusé d’aller au fond de cette affaire et de répondre aux questions des journalistes après ses excuses à M. Bergeron.
Mais ce qui m’a le plus choquée dans cette saga, ce n’est pas la démarche de Bergeron, ou que le maire manque de jugement. C’est la manière dont plusieurs élus ont banalisé cette démarche.
Je n’ai pas été élue, mais j’ai parlé à des milliers de citoyens pendant les derniers mois, et si j’avais à émettre un seul constat, c’est que la population ne fait pas confiance aux personnes qui se mêlent de politique. Vous le savez. Le cynisme de la population envers les élus est omniprésent. Plus de la moitié des électeurs ne votent pas, et beaucoup votent le nez bouché. Ils ne suivent pas la politique parce qu’ils sont dégoûtés par les politiciens, l’opportunisme, la corruption, le manque de vision à long terme.
Vous, vous avez été élus. Les politiciens, c’est vous. Vous avez la responsabilité de faire en sorte que la population vous fasse confiance. Vous devez à la population l’honnêteté et la transparence. Vous avez le devoir de vous indigner et de dénoncer haut et fort les pratiques douteuses.
Quand je lis dans La Tribune les propos de M. Avard, qui minimise l’importance des actes de M. Bergeron en disant que ce n’est pas un acte grave, et qui ajoute que « Les gens en politique utilisent les moyens à leurs dispositions pour influencer le cours des choses. Ça fait partie de la démocratie », je suis inquiète. Non, la manipulation de l’opinion publique ne devrait pas faire partie de la démocratie. La population mérite d’être informée, pas influencée. Les gens sont capables de se faire une idée par eux-mêmes s’ils sont bien informés, et il est temps que les politiciens le comprennent.
Quand je lis les propos de M. Charron qui dit « Ce n’est pas quelque chose que je juge important. Beaucoup de gens font cela, c’est une pratique courante », je suis scandalisée que M. Charron ne juge pas pertinent de dénoncer ces pratiques. Que s’est-il passé d’autre dont la population n’est pas au courant ?
Quand je lis que pour M. Lachance « C’est un peu malheureux que ça se retrouve dans l’espace public » et que ça ne le préoccupe pas, j’en comprends qu’il aurait préféré que la population ne soit pas au courant, et ça me révolte.
Oui, ce qui s’est passé est important. Oui, la population méritait d’être au courant. Est-ce que c’est fréquent ? À vous de me le dire. Mais si c’est fréquent, vous avez le devoir de mettre fin à ces pratiques en les dénonçant systématiquement. Si vous êtes au courant de ce type de magouilles, et que vous ne dites rien, vous êtes aussi coupables que ceux qui posent ces gestes. Quand vous vous fermez les yeux, vous entretenez le cynisme.
Face à une telle banalisation de ce qui devrait être inadmissible, je ne peux que penser à ce qui se passe en ce moment avec le harcèlement sexuel. Rappelez-vous qu’il y a quelques années à peine, beaucoup banalisaient de la même manière le comportement de patrons qui faisaient des blagues à connotation sexuelle ou des attouchements à leurs employés. Aujourd’hui, on ne tolère plus ce comportement, parce que de plus en plus de personnes se sont levées pour dire que c’était inacceptable.
Vous êtes des élus. Vous êtes aux premières loges des jeux de coulisses, des abus de pouvoir et de la corruption. Vous avez le devoir de dénoncer ces manœuvres. De poser des questions si vous avez des doutes. D’informer la population. Ce n’est pas parce qu’il y a des magouilles en politique depuis des siècles que vous devez entretenir ce système. Collectivement, on a réussi à enrayer plusieurs problèmes qui ont rongé la société pendant des siècles. Vous avez entre les mains le pouvoir de changer la politique, et par le fait même l’opinion que la population a de la politique. Si vous décidez de rester les bras croisés à regarder la population tourner le dos à la démocratie, laissez-moi vous dire que vous êtes indignes de vos fonctions.
M. Lussier, il y a un mois, je vous avais félicité pour la diffusion intégrale des séances du conseil. J’avais formulé le souhait que ce soit le début d’une nouvelle ère en matière de transparence. Vous aviez le sourire fendu jusqu’aux oreilles, et j’avais décidé de vous faire confiance jusqu’à preuve du contraire. Malheureusement, ce n’est plus sur vous que je compte aujourd’hui pour cette transparence. Vous êtes 16 conseillers autour de la table, je vous invite à faire votre travail aussi consciencieusement que possible, et je vous rappelle que vous n’avez pas été élus pour servir les intérêts de la classe politique, mais ceux de la population. Vous nous devez honnêteté et transparence.
Est-ce qu’on peut compter sur vous ?