En 2008, le marché du gaz naturel en Amérique du Nord fait face à une crise imminente : le pic de production est atteint, ce qui ne semble pas être le cas de la consommation. Cette menace de pénurie entraîne la multiplication des projets de ports méthaniers (par exemple Gros-Cacouna et Rabaska) permettant d’importer à grands frais du gaz naturel liquéfié. C’est à ce moment que la nouvelle tombe du ciel : il est désormais possible d’exploiter à coûts concurrentiels les shales gazéifères, comme en témoigne l’expérience de la ville de Barnett au Texas.
La « révolution » des gaz de shales, c’est en fait de permettre, grâce à une nouvelle technique d’extraction, l’exploitation de gaz naturel dans des régions où cela était jadis considéré impossible. La technique de fracturation hydraulique consiste à injecter sous pression d’immenses volumes d’eau additionnés de sable et d’additifs chimiques afin de casser le shale gazéifère et d’en libérer le méthane.
Géopolitique de la révolution
Dans son dernier livre, La révolution des gaz de schiste (Éditions Multimondes), Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal, montre que la manne des gaz de schiste est davantage politique qu’économique. L’arrivée de cette technique permet certes d’entrevoir une stabilisation de la production de gaz en Amérique du Nord, mais surtout, elle modifie les rapports de force au niveau géopolitique. Plusieurs pays d’Europe et d’Asie (et d’Amérique) disposent désormais d’un atout supplémentaire dans leurs négociations pour du gaz avec les producteurs majeurs tels la Russie, le Qatar et l’Iran. Pour la Chine, qui importe pratiquement la totalité de sa consommation d’hydrocarbures, l’exploitation des gaz de schiste, même à perte, est très avantageuse.
Au Canada, la nouvelle est également bienvenue, mais pour d’autres raisons, plus subtiles. Ainsi, même si le gaz fait partie d’un groupe d’énergies interchangeables servant à produire de l’électricité ou du chauffage, l’Alberta voit d’un œil intéressé l’implantation de l’industrie des gaz de schiste afin d’utiliser du gaz local pour chauffer les sables bitumineux et en extraire le précieux or noir.
10¢ l’hectare
La Colombie-Britannique réussit à retirer un bon pactole en droits d’exploration et d’exploitation (en les vendant aux enchères jusqu’à 10 000 $ l’hectare) et en redevances, au point de continuer des projets de ports méthaniers non pas pour importer, mais bien pour exporter son gaz. Au Québec, la situation est moins reluisante. Mousseau est impitoyable : non seulement le Québec ne retire actuellement aucun avantage économique ou géopolitique de l’exploitation du gaz de shale mais en plus, il a beaucoup à perdre dans le contexte légal et politique actuel. « Au moment où de nombreux territoires, en Amérique du Nord et en Europe, s’apprêtent à connaître, pour la première fois, une ruée vers le gaz, le cas du Québec montre comment ils ne devraient pas procéder », écrit-il.
Dans la Belle province, les droits d’exploitation ont été littéralement donnés aux entreprises, à raison de 10¢ l’hectare. Le gouvernement accorde aussi d’emblée un congé de redevances de 5 ans suivi de redevances mineures et proportionnelles à la valeur des puits alors que celle-ci diminue d’environ 90% après la première année. La législation québécoise est aussi déficiente, entre autres la Loi sur les mines, qui confère à peu près tous les droits et très peu de responsabilités environnementale ou sociale aux compagnies gazières.
Selon Mouseau, les différents gouvernements, qui ont eu la charge d’administrer les richesses contenues dans le sous-sol québécois, ont failli lamentablement à la tâche. Et le gouvernement Charest continue d’y faillir.
Un plan d’affaires
L’auteur affirme que « le Québec doit repenser l’ensemble de sa filière énergétique et développer un réel plan d’affaires qui engloberait toutes les avenues possibles afin d’optimiser à la fois les revenus de ses ressources énergétiques et la réduction des gaz à effet de serre pour la planète. » Il présente le modèle de la Norvège qui a su mener à bien l’exploitation pétrolière au large de ses côtes et en faire profiter la population présente et même future, à travers un fonds d’investissement.
L’ouvrage de Mousseau est un bel exercice de vulgarisation. L’auteur rend accessible un sujet complexe aux vastes répercussions qui mérite d’être connu de chaque Québécois. L’ouvrage possède le défaut de sa qualité, en simplifiant parfois trop certains enjeux majeurs, mais a l’avantage de se lire d’un trait et de fournir au néophyte des outils clairs pour pousser sa réflexion.
La révolution des gaz de schiste, Normand Mousseau, 2010, Éditions Multimondes.