Le 26 novembre 2016 s’est éteint Fidel Castro à l’âge de 90 ans. Connu dans le monde entier depuis des décennies, le jeune dirigeant révolutionnaire contre la dictature sanglante de Fulgencio Batista est surtout devenu le commandant de Cuba pendant un demi-siècle avant que la maladie l’amène à transmettre le pouvoir en 2008 à son frère Raul cadet de cinq ans.
Fidel est mort exactement 60 ans après le départ clandestin du Mexique du bateau Granma qui donnera son nom au journal quotidien cubain. 82 hommes à bord, dont Raul et l’Argentin Ernesto Che Guevara, partis pour la libération de la patrie cubaine comme José Marti et Antonio Maceo l’avaient fait en 1895 lors de la Seconde Guerre d’Indépendance cubaine face au colonisateur espagnol. Ce dernier a été habilement remplacé par les États-Unis qui ont d’abord lutté avec les patriotes cubains, les mambises, en déclarant la guerre à l’Espagne puis en les empêchant d’entrer à Santiago. Suivent deux séquences d’occupation militaire de quatre années d’où découle la tristement célèbre base états-unienne de Guantanamo avec la prison depuis 2001. Une succession de gouvernements corrompus se succèdent ensuite et un droit de veto est conservé par les États-Unis dans les affaires internes ainsi que le contrôle total des affaires extérieures, l’amendement Platt valide jusqu’en 1934.
Le jeune avocat Fidel Castro se présente en 1952 aux élections comme député après avoir milité dans le mouvement étudiant de La Havane. Cependant, les élections furent annulées par un coup d’État de Batista et Fidel organisa le 26 juillet 1953 l’assaut des casernes militaires de la Moncada à Santiago ainsi que celle de Cespedes à Bayamo qui furent des échecs. Les revendications du mouvement du 26 juillet sont connues notamment à cause de la plaidoirie de Fidel à son procès nommée «L’histoire m’acquittera». La victoire est acquise en janvier 1959 après deux années de combat entre une armée de dizaines de milliers de soldats équipée de tanks et d’avions et une guérilla paysanne de quelques centaines de membres, mais qui a l’appui de la grande majorité du peuple et le soutien et le renfort des villes à travers des réseaux animés entre autres par Celia Sanchez, bras droit de Fidel et figure méconnue de la révolution.
Quelques réalisations dans les années 1960: une réforme agraire qui s’approfondit devant le refus de négocier des compagnies états-uniennes, une baisse du prix des loyers et la construction de logements dignes, la santé et l’éducation accessibles et gratuites avec l’alphabétisation et des cliniques populaires, du travail pour tout le monde, les droits égaux pour les femmes notamment le libre choix en 1965 et la mise en place de jardins d’enfant (les garderies) et la fin de la ségrégation raciale où la population à la peau trop foncée était interdite dans certaines écoles et dans certains quartiers et établissements. Le tout galvanisé par l’indépendance nationale et un développement culturel, artistique, scientifique et sportif impressionnant en plein mouvement de décolonisation où Cuba a inspiré bien des peuples en lutte. Voilà un résumé des avancées énormes et rapides que la révolution a pu mettre en place et qui correspondaient au programme annoncé.
Cependant, on ne se défait pas facilement de l’héritage colonial qui date de la création de Cuba au 16e siècle. La dépendance économique avec l’exportation de la canne à sucre et le manque de diversification côté industriel et technique ont pesé lourd dans l’évolution économique cubaine où l’on a socialisé la rareté pas l’abondance. Ajoutons la mise en place de l’embargo économique des États-Unis jusqu’à aujourd’hui ainsi que les campagnes de sabotage et de terreur par les anticastristes de Floride financés par la CIA et il est effectivement héroïque pour le peuple cubain d’avoir survécu à tout cela [1]. Une mentalité d’assiégé par contre limite l’expression de critiques qui sont vus rapidement comme contre-révolutionnaires et la militarisation du régime se perpétue. De plus, l’isolement du socialisme cubain avec les échecs des révolutions en Amérique latine comme celle en Bolivie où Che Guevara est exécuté en 1967 et la mise en place des dictatures militaires capitalistes comme celle de Pinochet au Chili amène Cuba à se coller au modèle «socialiste» de l’URSS des années 1970. Un régime où les droits et libertés ne sont pas complètement respectés et où la fusion du Parti unique et de l’État favorise une caste bureaucratique qui ne correspond pas à la démocratie ouvrière et populaire. Lors de la visite historique de Barack Obama à Cuba en mars 2016, Raul Castro a répondu de façon très juste à une journaliste qui insistait sur l’existence des quelque soixante prisonniers politiques sur l’île: «(…)combien de pays respectent les 61 droits humains et civiques, quel pays les respecte tous, vous le savez? Moi je le sais, aucun! Certains en respectent quelques-uns, d’autres en respectent d’autres. Nous sommes entre les deux. Cuba en respecte 47, certains en respectent plus, d’autres moins.»
[1] Le cas exemplaire du terroriste Luis Posada Corriles vivant en liberté à Miami.