Le lendemain, Romarin et Marie-Noëlle se levèrent vers six heures, puis allèrent réveiller Farandole. Trente minutes plus tard, tous les trois étaient habillés et assis à la table la plus proche de l’endroit où s’étaient retrouvés les meubles de la cuisine suite à l’expansion de la maison. Pour déjeuner, ils mangèrent des crêpes. Marie-Noëlle et Romarin étaient fébriles, car les convives commenceraient à arriver par vagues successives à compter de huit heures. Puisque seul l’intérieur de la maison était plus grand, et qu’il n’y avait donc pas plus d’espace à l’extérieur qu’auparavant, il était évidemment impossible pour leur terrain d’accueillir une voiture par famille. Pour cette raison, et comme chaque année, ils avaient loué un autocar, qui allait revenir à leur maison toutes les demi-heures en transportant une cinquantaine de visiteurs. Chacun aurait le temps de s’installer avant l’arrivée de la prochaine navette. L’exercice allait durer jusqu’à seize heures le lendemain. Cette heure marquerait aussi le début officiel des festivités.
Un autre trente minutes plus tard, le déjeuner était terminé, et la vaisselle, lavée. Tout était prêt pour l’arrivée des premiers visiteurs. Il ne leur restait plus qu’à attendre à présent. Chaque seconde qui les séparait de huit heures leur paraissait durer une minute, et les minutes semblaient être des heures. Cela dit, le moment qu’ils attendaient avec impatience finit inéluctablement par arriver, et les cinquante premiers visiteurs arrivèrent à bord de l’autocar, à huit heures et une. Marie-Noëlle et Romarin se levèrent d’un bon pour les accueillir, accompagnés de Farandole. Ils passèrent les dix minutes suivantes à serrer des mains, à faire des accolades et à discuter. Par la suite, les cinquante lutins montèrent au grenier avec leurs bagages pour les ranger près de leurs lits attitrés, tandis que Romarin transportait leurs contributions alimentaires à la grange convertie en chambre froide de fortune. Vous ne croyiez quand même pas que Romarin et Marie-Noëlle allaient cuisiner pour toutes ces personnes!
Une fois les bagages à l’étage et les victuailles à la grange, la deuxième navette arriva. Marie-Noëlle et Romarin répétèrent donc le processus : salutations, poignées de main, accolades, victuailles. L’opération se répéta ainsi toute la matinée, pendant que Farandole jouait dans le sous-sol avec les autres enfants, dont le nombre augmentait à chaque arrivée. À midi, Romarin fût remplacé dans son rôle de transporteur de nourriture par son cousin Ventdhiver. Il s’écrasa sur une chaise, brûlé, tandis que Marie-Noëlle annonçait, dans un microphone placé sur la mezzanine, que le dîner était servi. Romarin sortit machinalement son téléphone de sa poche. Il constata, perplexe, qu’il avait trente-sept appels manqués. Le dernier était de Doucenuit, la directrice des opérations à la Société du Pôle Nord. Inquiet, il courut s’enfermer dans la salle de bain pour s’isoler du bruit ambiant, puis rappela Doucenuit. La sonnerie n’eut pas le temps de compléter son premier coup.
— Romarin! Ça fait une heure que j’essaie de t’appeler!
— Eh bien, commença Romarin, tu sais que je suis…
— En vacances, oui, je sais, mais il y a littéralement urgence nationale. C’est la panique ici!
— Qu’est-ce qui se passe?
Une autre voix se fit entendre de l’autre côté de la ligne, mais Romarin n’arriva pas à distinguer les paroles qu’elle prononça.
— Écoute Romarin, je dois te laisser. Ouvre n’importe quel site de nouvelles, je te recontacte dans quelques minutes.
Doucenuit raccrocha.
Romarin lança le navigateur web de son téléphone et se rendit sur un site web d’actualités, comme Doucenuit le lui avait demandé. Un frisson lui parcourut l’échine alors qu’il lisait le titre de l’article suivant :
LE PÈRE NOËL MEURT DANS UNE EXPLOSION
La distribution de cadeaux est en péril
23 novembre 2016 à Trèsaunord, Principauté de l’Arctique.
Dernière mise à jour à 12h03.
L’explosion d’un entrepôt à Trèsaunord en fin d’avant-midi compte parmi ses victimes le Prince Bradley, monarque de la Principauté de l’Arctique et président-directeur général de la Société du Pôle Nord. Dans les pays francophones, le prince était mieux connu sous le titre de « Père Noël ». La déflagration a aussi emporté avec elle des millions de cadeaux destinés à être distribués aux enfants sages du monde entier dans la nuit de samedi à dimanche. Les autorités soupçonnent qu’une fuite de gaz serait à l’origine de cet incident.
Le décès soudain du Prince Bradley ouvre une période d’incertitude politique pour le petit État nordique, alors que le monarque n’avait pas d’enfant, et donc aucun successeur. La constitution de la Principauté ne prévoit par ailleurs pas que la Princesse Simone, veuve du monarque, prenne automatiquement la place de ce dernier à titre de cheffe d’État. Cette incertitude, conjuguée à la disparition des jouets et à l’annulation probable de la veille de Noël, risque de causer une dégringolade sans précédent de l’indice BSX, associé au Boreal Stock Exchange, la place boursière de la Principauté de l’Arctique.
Quelques chefs d’État ont déjà réagi à la nouvelle par voie de communiqué. C’est le cas du premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui rappelle les liens importants qu’entretient le Canada avec son petit voisin du nord, et déplore « une perte immense pour les canadiens et pour l’humanité toute entière, particulièrement pour les enfants qui ne trouveront pas de cadeaux du Père Noël sous le sapin cette année ».
Aussitôt la nouvelle consommée, un message texte de Doucenuit apparut sur le téléphone de Romarin : « Rejoins-nous à Snowball Street dans trente minutes, la princesse veut voir tout son personnel. »
Romarin sortit de la salle de bain et chercha Marie-Noëlle des yeux. Il la trouva assise au milieu d’une table qu’elle partageait avec ses quatorze sœurs, visiblement investies dans une conversation animée. Il marcha jusqu’à elle d’un pas vif, puis se pencha pour lui chuchoter à l’oreille :
— Je peux te parler une minute?
Marie-Noëlle s’excusa auprès de ses sœurs, puis suivit Romarin à l’écart des invités.
— Euh… commença Romarin, il y a eu un incident à l’entrepôt de cadeaux. Un gros incident. En fait, il n’y a plus d’entrepôt de cadeaux.
— Qu’est-ce que tu racontes? l’interrompit Marie-Noëlle.
— L’entrepôt a explosé. Avec le prince à l’intérieur.
Le visage de Marie-Noëlle prit une expression d’horreur.
— Je dois être à Snowball Street dans trente minutes, poursuivit Romarin. La princesse veut voir tout son personnel. Je ne sais pas à quel moment je vais pouvoir rentrer.
Les deux amoureux s’enlacèrent, puis Romarin se prépara à partir. Il sortit ensuite de la maison avant de prendre sa voiture en direction de la zone urbaine de Trèsaunord. En chemin, il croisa la prochaine navette de convives.
Lire la suite du roman-feuilleton La nuit de Noël n’est pas un dîner de gala
- Épisode 01 — La cité de Trèsaunord
- Épisode 02 — Farandole
- Épisode 03 — Dure journée au bureau!
- Épisode 04 — Le trésor du grenier
- Épisode 05 — Une nouvelle inattendue
- → Épisode 06 — Snowball Street
- Épisode 07 — Viva la revolución!
- Épisode 08 — Les héros de la sapinière
- Épisode 09 — À bord de l’astronef
- Épisode 10 — Montée vers les étoiles
- Épisode 11 — La fée et sa poussière
- Épisode 12 — Parés au décollage!
- Épisode 13 — La République du Pôle Nord