«Il y a une propension des sociétés à l’inertie, à la loi et à l’ordre jouxtée à une tendance des citoyens à la soumission, à la pensée unique, sinon à l’absence de pensée. D’où un risque de sclérose, de décadence voir de fin de l’humanité. Tout comme les individus, les civilisations meurent aussi.»
– Paul Valéry
Mathieu Roy et Harold Crooks, réalisateurs du documentaire Survivre au Progrès, s’envolaient vers le Brésil afin de tourner leurs premières scènes au moment où la crise financière de 2008 éclatait. À l’écoute du film inspiré du livre A short history of progress de Ronald Wright, on comprend qu’ils ont été profondément influencés par ces événements qui allaient mener des millions de familles à la faillite.
Sans trame narrative et ponctué d’images choc, le brûlot cherche à susciter une prise de conscience collective sur l’élément moteur des civilisations ; l’idée de progrès et de croissance. À travers des entrevues menées avec de nombreux intervenants, tous plus pertinents les uns que les autres, les cinéastes nous guident à travers une réflexion sur les méandres de la nature humaine, la notion de durabilité, la naissance et la mort des civilisations, la mort de notre civilisation en l’occurrence. Le propos est articulé à travers des problématiques aussi contemporaines que nombreuses, notamment l’explosion démographique, le pillage des pays du sud, la crise environnementale, l’accès à la société de consommation, le lien entre dirigeants et dirigés, le tout enrobé d’une perspective morale fondamentalement humaniste.
Survivre au Progrès n’est pas un documentaire qui cherche à susciter l’espoir, le constat est juste, cohérent et surtout tranchant. Le fil conducteur est simple : L’humanité fonce à toute allure vers un mur et peut-être est-il déjà trop tard pour faire demi-tour. Il est heureux de remarquer que les auteurs échappent à l’écueil scientiste qui tente de voir dans la science une splendide sortie de crise, perspective dans laquelle l’homme n’aurait pas à transformer ses structures politiques et économiques.
Cependant, après 1h30 d’exploration critique de la pensée productiviste et des phénomènes d’appropriation qui créent la richesse et la croissance, il est décevant de voir que les auteurs ont le réflexe de réfléchir à l’aide des mêmes outils que l’idéologie qu’ils attaquent ; avec les entreprises et le marché de l’offre et la demande. D’ailleurs, Mathieu Roy témoignera de cette mollesse sur le plateau de «Tout le monde en parle» en espérant l’éventuelle responsabilisation des entreprises et des dirigeants et en enfermant les citoyens dans leur rôle de consommateur qui exerceraient leur pouvoir à travers le marché de l’offre et de la demande. Bien sûr, personne ne niera l’importance d’acheter des biens et des services socialement et environnementalement responsables, mais est-ce suffisant pour éviter un mur qui s’approche dangereusement ?