Qu’est-ce que la culture ? On peut s’étendre de tout son long pour définir ce qu’est la culture. C’est un ensemble de paramètres auxquels peuvent s’identifier des individus dans une communauté donnée. Pourtant, il y a une forte tendance à compartimenter les choses dans nos sociétés occidentales où lorsqu’on parle de culture on s’en réfère souvent à ce que nous appelons maintenant des industries culturelles, terme pour le moins étrange. La culture vue sous cet angle est devenue un divertissement, une consommation parmi d’autres.
Autrefois, la culture était surtout définie par des modes de vie, mais avec l’uniformisation de ceux-ci, on peut se demander ce qu’est devenue la culture. Pendant des décennies, l’anthropologie et la sociologie notamment se sont intéressées aux différentes communautés localement ou de par le monde. On allait y constater comment vivaient les gens, ce qui les tissait les uns aux autres, leurs habitudes alimentaires, leurs lieux de chasse et de pêche, leurs habitats, leurs fabrications d’objets, leurs savoirs, leurs cosmogonies.
Aujourd’hui le terrain de l’anthropologue serait une grande surface dans un centre d’achats (ou ailleurs) où se retrouvent la plupart des activités qui autrefois se faisaient au sein de communautés. Les chasseurs-cueilleurs se promènent désormais en caddy dans les allées, à l’affut de la moindre chose qui ne bouge plus et qui ne sent rien sur des étagères ou dans des étals frigorifiés.
Rupture entre tradition et modernité
Je suis né dans un milieu à la frontière de deux types de culture, l’une traditionnelle, agroforestière, avec un grand-père (né au XIXe siècle) qui avait des animaux et une charrette. Enfant, je participais aux différentes corvées, que ce soit le travail en forêt, la construction, les réparations. Mais très vite, tout cela allait être chamboulé par ce que l’on appelle la « modernité ». À 66 ans, je peux avoir le recul de toutes ces années et réaliser que tout juste deux vies avant moi, il n’y avait ni téléphone, électricité, train, automobile ou quoique ce soit qui, par la suite, s’est immiscé dans nos modes de vie.
Nous ne sommes pas encore en mesure de comprendre le bouleversement de toute la technologie qui nous entoure aujourd’hui et ce que cela crée comme civilisation. Il y a un début de ressac en ce moment où justement la question se pose de la finalité de tout cela. Le désarroi est plus important que l’on pense, avec l’usage de béquilles de tous genres pour faire face à la situation.
Ayant eu cette base de partage et de participation durant mon enfance, il me sera relativement facile de patauger des décennies durant dans différents milieux, du travail en usine pendant plusieurs années à la fréquentation des cercles universitaires en arts, sciences et littérature. Sans le savoir, je faisais un peu le même type de parcours que Simone Weil à laquelle je m’identifie beaucoup. Tant bien que mal, j’ai appris à fonctionner minimalement dans un système que je ne comprends toujours pas, en tirant mon épingle du jeu, sans bruit.
Vide existentiel à combler
Les industries culturelles sont aussi des palliatifs face à un vide, à une incapacité de concevoir une existence autre que celle basée sur le travail régimenté, avec le système d’éducation qui nous formate pour fonctionner dans celui-ci, sans trop se poser de questions. Mais pourquoi assurer la pérennité de ce qui nous tue à petit feu ? Les industries culturelles sont ce qu’elles sont. Ne peuvent en faire partie que ceux et celles qui ne fomentent pas la révolution, voire peinent à remettre en question le carcan que l’on s’est fabriqué, tout comme le système d’éducation s’en charge en amont. La culture, c’est aussi chercher des modèles qui nous permettent de vivre autrement en commun que de travailler pour consommer et tenter de s’enrichir sur le dos des autres en un cercle vicieux absurde. On peut me faire miroiter n’importe quoi dans le scénario présent. Je ne vois pas trop où ça mène.
Je salue les peuples autochtones qui ont su conserver leurs cosmogonies même si tout a été fait pour les leur enlever. La nôtre, en regardant vers le ciel, se traduit désormais par Starlink dont les bidules tapissent le ciel à bientôt ne plus voir ce qu’il y a au-dessus. Du reste, grâce à la pollution lumineuse, il y a belle lurette que nous ne voyons plus la voute céleste. Nous sommes cantonnés à l’admirer sur des écrans plats pour ne pas dire plates. À tout le moins, face à l’agonie de notre cosmogonie, on peut s’en fabriquer une nouvelle accompagnée de mythologies bidouillées à partir d’internet, cela pour ceux et celles qui tentent de regarder au-delà de la vision matérialiste du monde, seule permise pour bénéficier de crédits d’impôt. Si nous manquons d’imagination, peut-être que l’IA nous en créa une sans effort.