Meryam Joobeur nous offre un long métrage de 118 minutes d’une très grande intensité dramatique dont on se remettra à grand-peine, surtout dans cette ère trumpienne de génocide palestinien.
Grâce à l’art exigeant et poétique de la fabuleuse réalisatrice tunisienne établie à Montréal, Là d’où l’on vient raconte un retour d’idéal déchu, qu’on devine être le djihad islamique entrepris par deux frères, dont le désespoir si noir ne saurait être accablé davantage par quelques jugements que ce soit : se dégage, en un enchainement de dérapages, le rachat entrevu de leurs âmes pourtant alourdies de meurtres.
Les images magnifiquement cadrées avec d’innombrables gros plans, dans des paysages de prairies et de bords de mer tunisiens hantés par des comédiens dévorés par leurs personnages, nous plongent dans le sujet éternel de la dévastation guerrière, rarement aussi magistralement exploitée, y compris par une musique lancinante, mais pas par des violences de champs de bataille. Madame Joobeur porte son regard aiguisé sur les hommes intérieurement déchirés.
La plupart de nos politiciens abordent les immigrants avec arrogance et condescendance, les réduisant à de simples rouages économiques et ignorant leurs parcours souvent marqués d’épreuves. À l’inverse de l’approche épique d’Io, Capitano, ce film privilégie une sobriété touchante : des acteurs discrets mais saisissants donnent vie à un huis clos poignant, où des réfugiés, de retour dans leur pays, affrontent la désillusion d’un exil motivé par une illusion religieuse. Dans la lignée des œuvres de Mariloup Wolfe (Jouliks) ou Anaïs Barbeau-Lavalette (Chien blanc), il témoigne avec brio de la puissance de l’art cinématographique féminin.
Cela dit, la réalisatrice ne porte jamais de jugement, elle se contente de témoigner des douloureux ravages d’un milieu d’extrême pauvreté rurale avec des bergers acculés à la dure, très dure tâche de survie élémentaire. Nous contemplons, proies médusées, les tensions intrafamiliales insoutenables qu’une femme tente de calmer, en cherchant fermement à réconcilier un mari aux rigides principes traditionnels avec ses trois fils encore en vie, le plus jeune encore dans les jupes de sa mère aimante.
Mais l’un d’entre eux a ramené de Syrie une femme non musulmane pourtant vêtue d’une burka pour échapper aux regards inquisiteurs qui veulent pour la plupart la juger, une trop infime minorité cherchant à comprendre et à aimer l’étrangère impie. On s’achemine alors, inexorablement, vers un dénouement qu’on pressent sacrificiel. Ainsi, l’œuvre de Meryam Joobeur fait office de miroir embarrassant et inversé pour notre société hypnotisée par le faux glamour américain.