L’utopie, cet idéal inaccessible ! Mais de quoi cette utopie pourrait-elle être constituée? Utopie et politique sont liées en ceci que tout type de gouvernance est ultimement utopique. Veut-on d’une utopie à la Trump, à la Poilièvre, à la Legault ou veut-on une d’utopie sur des bases autres que purement économiques? L’utopie n’a-t-elle pas en soi un air de totalitarisme, car pour maintenir l’ordre utopique, il faut être coercitif, à moins qu’un consensus ait été obtenu sur son émergence.
C’est un thème de réflexion qui dure depuis des lustres et dont on ne semble pas encore avoir trouvé la recette. Depuis les Grecs et la Cité que l’on s’évertue encore à montrer comme exemple idoine (alors qu’elle fonctionnait à l’aide d’esclaves) jusqu’aux maintes dictatures d’aujourd’hui, on ne peut pas dire que l’on n’ait guère avancé sur ce thème. De surcroît, ce que l’on appelle des démocraties est aussi extrêmement défectueux pour toutes sortes de raisons : le niveau de connaissance et d’implication citoyennes, les modes de scrutin plus ou moins mal conçus et les tiraillements des uns et des autres sur les objectifs à atteindre qui sont souvent incompatibles.
Il est quasiment impossible d’imaginer un modèle utopique à grande échelle et la plupart des différentes tentatives (même à échelle humaine) qui ont vu le jour au cours des siècles ont échoué. Il n’en reste que des souvenirs de ce qu’elles furent, le temps qu’elles ont duré. C’est sans doute au XXe siècle que l’on assiste au plus grand nombre d’essais avec ce que l’on appelait les « communes de hippies » qui ont pullulé un peu partout, notamment sur le continent nord-américain et en Europe, hors des grands centres où ont tenté de s’évader leurs protagonistes. De nos jours, certains modèles d’écovillages et de co-habitats ont peut-être quelques chances de durer.
Pour qu’une quelconque idée d’utopie soit réalisable, il faut minimalement penser de manière holiste, c’est-à-dire réfléchir à tous les tenants et aboutissants envisageables du modèle recherché, en prévoyant une marge d’erreur plus ou moins grande et la capacité à corriger le tir le plus vite possible. On ne peut penser en ‘silo’, soit l’une des raisons pour lesquelles nous en sommes encore éloignés, car dans très peu de cas les décisions prises — qu’elles soient de nature politique ou autres — envisagent les conséquences de celles-ci sur tous les aspects de ce qui les entoure. Je pourrais citer des dizaines d’exemples de mauvaises décisions qui affectent d’une manière ou d’une autre le fonctionnement global d’une société, voire de la planète en général.
Si le créateur du mot « utopie » Thomas More (1478–1535), revenait aujourd’hui, il faudrait qu’il soit soumis à une mise en situation avant qu’il puisse avoir accès à notre réalité sinon il en perdrait la tête une seconde fois, car, même nous qui baignons dedans, ne sommes que difficilement en mesure de jauger l’ampleur de l’évolution des choses sur quelques 500 ans! Pas besoin cependant de s’appeler Thomas More pour percevoir que quelque chose ne va pas dans le scénario. S’il n’était pas déjà inventé, il concevrait sans doute le mot « dystopie » qui est davantage ce dans quoi nous baignons de plus en plus et qui est le contraire de ce qu’il espérait (sans le souhaiter, écrivait-il).