Après le départ de la secrétaire à la participation citoyenne, Mme Néné Oularé, et la décision de confier le dossier à son directeur général, la Ville de Sherbrooke est revenue à la case départ dans ce dossier.
Le parti Sherbrooke citoyen en avait pourtant fait un engagement phare de sa plateforme électorale aux dernières élections municipales. La création d’un secrétariat à la gouvernance et à la participation citoyenne occupait la 3e place dans la liste des sept propositions formulées par Evelyne Beaudin dans son livre Gouverner efficacement (2021).
Les différentes commissions créées par la nouvelle administration peinent à inclure la voix des citoyen·ne·s dans leurs délibérations. Officiellement, seules les personnes élues sont membres des commissions. Quant à la population, le site de la Ville invite les intéressé·e·s à » se joindre à l’auditoire » , ce qu’on pourrait traduire par » écouter en silence » . Toujours sur le site de la Ville, on nous informe que les organismes et les experts peuvent manifester leur intérêt à participer en communiquant par écrit à la présidence de la commission. Toutefois, même une fois invités à participer, les organismes sont confinés à un rôle limité et peu défini. Quel pouvoir ont-ils ? Aucun mécanisme ne prévoit une réelle participation.
Dans le dossier de la nouvelle Politique de l’arbre, l’Association citoyenne des espaces verts de Sherbrooke (ACEVS), le Conseil régional de l’environnement, le CIUSS de l’Estrie, l’Université Bishop’s et l’Initiative sherbrookoise de développement des communautés (ISDC), ont été invités à » participer » aux séances de la Commission de l’environnement. Si on peut assurément se réjouir de cette invitation lancée à des organismes du milieu, leur rôle dans le processus demeure flou. Le Plan d’action des commissions rappelle que : » les commissions favorisent la concertation et la consultation » (site de la Ville). En quoi cette consultation engage-t-elle la Ville ? Quel pouvoir réel est imparti aux organismes du milieu et à la société civile ? Le directeur général devra répondre rapidement à ces questions alors que des politiques et des plans importants (plan d’urbanisme, plan climat) doivent être déposés dans un avenir rapproché.
Gouverner en donnant la voix aux citoyen·ne·s est certainement plus complexe qu’une gouvernance traditionnelle. Plusieurs modèles ont été testés à travers le monde avec un succès variable. L’ancien maire de Rosemont–Petite-Patrie, François William Croteau, est revenu sur son expérience en politique municipale dans l’essai S’adapter. Demain : les villes résilientes (2023). Il y fait une distinction intéressante entre « consulter la population» et «faire participer la collectivité» . D’un côté, sonder les intérêts particuliers des citoyen·ne·s en faveur d’un projet (le principe de l’acceptabilité sociale), de l’autre, impliquer et favoriser l’appropriation des projets par les citoyen·ne·s dans une démarche collective. C’est ce qu’il nomme « la gouvernance partagée» . Sa position ne laisse place à aucune équivoque : « (…) je m’oppose aux consultations publiques surtout lorsqu’il s’agit de réaliser la transition écologique et d’atteindre la résilience. C’est par la mobilisation directe des milieux de vie que l’atteinte d’un tel objectif sera possible, et ce, plus rapidement» (p.128-129).
François William Croteau a grandement encouragé la création de ruelles vertes dans son arrondissement en soutenant les initiatives des riverains et en partageant avec eux la conception, la réalisation et l’intendance. Oui, la gouvernance partagée vient avec des responsabilités, mais aussi le sentiment d’un réel pouvoir d’action.
Cette réflexion m’a fait penser au projet de rue partagée autour du parc de l’Ancienne-caserne (ou parc London) dans le Vieux-Nord pour lequel des gens du quartier multiplient depuis cinq ans les démarches et se frappent à chaque tournant à de nouvelles embuches. Je me suis demandé comment l’ancien maire de Rosemont–Petite-Patrie aurait accueilli ce projet s’il lui avait été soumis. Aurait-il attendu de déposer un règlement pour l’ensemble de la ville avant d’initier le projet ? Son témoignage comme maire de Rosemont–Petite-Patrie me laisse croire qu’il n’aurait pas laissé passer une telle initiative citoyenne.
Ceux qui s’impliquent dans leur communauté le savent : ce n’est pas facile de se regrouper pour faire changer les choses. Si en plus les citoyen·ne·s doivent se battre contre une bureaucratie tatillonne et incapable de souplesse, le risque est grand qu’ils abandonnent. Plutôt que d’y mettre des freins par crainte d’être accusée de favoritisme, la Ville de Sherbrooke devrait accueillir ces idées nouvelles avec ouverture et y voir un moteur de changement et de dynamisme. Les meilleures idées sont souvent celles qui émergent spontanément des gens directement concernés.
L’adoption d’un plan d’urbanisme est le prochain grand défi auquel la municipalité devra s’attaquer. Comment la Commission de l’aménagement du territoire, responsable du dossier, intégrera-t-elle la participation citoyenne à cet incontournable outil de planification ? Au conseil municipal du 6 février, Evelyne Beaudin s’est inquiétée ouvertement de la démarche proposée par la Commission qui, selon elle, ne fait pas suffisamment de place aux partenaires, au conseil municipal et à la population. Souhaitons que la Ville prévoie des mécanismes clairs de participation qui fassent la distinction entre les intérêts privés des différents acteurs et le bien-être collectif.