LE TEMPS D’UN ÉTÉ

Date : 13 juillet 2023
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Le film estival sort en salle dès ce vendredi 14 juillet à La Maison du Cinéma.

Une critique sans trop divulgâcher.

Un visage sur celui que je ne regarde pas… ou plus.

Il y aura un regard.

Puis il y aura le regard, celui qui amène à planter ce moment ultime de l’existence chez l’autre.

Ce regard considérant qui nous instille le cinéma bienveillant sur l’autre de Louise Archambault. 

Un regard sur les oscillations brutales entre les moments des joies et les détresses d’une vie. Au travers des derniers films de la réalisatrice, il y a une nécessité de parler de l’autre dans une société diverse et variée. Une nécessité de parler des différentes personnes rejetées par la société.

2 de ses 3 derniers films ont porté un regard sur cela en nous laissant sans cesse des questions en tête. Gabrielle (2014) posait un regard sur l’amour entre deux personnes avec des déficiences, amour qui était mal vu par un entourage peu compréhensif. Le sublime Il pleuvait des oiseaux (2019), nous emmène avec deux aînés ermites qui vivent isolés dans la forêt jusqu’à l’arrivée de Gertrude, une aînée qui a fui un centre psychiatrique et qui était internée depuis l’âge de 16 ans sous des motifs religieux. Gertrude, interprétée par la regrettée Andrée Lachapelle qui jouera l’une des plus belles scènes d’amour de l’année 2019.

Dans sa dernière œuvre, scénarisée par Marie Vien (La passion d’Augustine14 jours, 12 nuits…)

J’avais évoqué les joies et les détresses d’une vie qui se recomposent tant dans les récits passés contés par les personnages que dans les couleurs froides (direction photographique) qui transparaissent dans le langage cinématographique en opposition avec les couleurs plus chaudes d’un lieu qui peuvent changer chacun de ses personnages. Il y a un fort intérêt à plonger dans un récit où chaque personnage nourrit une intrigue, un questionnement sur leur vie passée en délaissant les préjugés à la porte ou le discours parfois réducteur. Il y a une lumière qui se cache derrière l’écoute. 

Les interpellations muettes

Synopsis : Marc, curé de paroisse, lance un regard bienveillant depuis 25 ans aux itinérants dont il a fait de son église un refuge. Mis au pied du mur, il se retrouve acculé devant les frais qu’il ne peut plus payer, pourtant la vie lui sourit avec l’héritage d’une propriété qui arrive au bon moment. Marc décide d’emmener des itinérants dans le Bas-du-Fleuve, le temps d’un été, un temps pour se livrer.

Lorsqu’il est fait mention des interpellations muettes, elles évoquent une thématique phare du cinéma de la réalisatrice, notamment l’écoute. Avec en premier lieu, le personnage de Marc, un aumônier de rien qui a passé du temps à écouter les itinérants, sans être dans une logique d’un film de bon sauveur, ce personnage à trop longtemps délaissé l’idée de s’écouter lui-même. D’un film qui prend la route avec la nostalgie afin de retrouver un passé plus rayonnant, on tombe dans ce passé brutal, bouleversant chez des personnages qui tentent de retrouver l’itinéraire. Dans des cadrages qui nous collent à ces itinérants sans la possibilité de faire comme si on ne les voyait pas. Tout en sensibilité la réalisatrice pousse un intérêt à écouter chaque personnage avec un tempo juste sans avoir une suite d’histoire. On prend le temps de découvrir et de donner une voix à ce qui nous interpelle.

Le journal Entrée Libre s’est entretenu avec une partie de l’équipe du film, les acteurs Pierre Melville et Justin Leyrolles-Bouchard :

Souley Keïta : On brosse le portrait, à travers le scénario de Marie Vien et la réalisation de louise Archambault, de différents itinérants, à différents âges, aux parcours différents et aux différences sociales pour ne pas enfermer dans une case le visage de l’itinérance, car finalement cela peut arriver à n’importe qui. Comment percevez-vous vos personnages de Sébast ou Molo?

Justin Leyrolles-Bouchard : Sébast est un garçon qui vient de la DPJ. Ses parents ne sont pas dans la photo portrait depuis très longtemps, depuis son plus jeune âge. Il est envoyé de gauche à droite dans des familles d’accueil et il se ramasse dans la rue à 18 ans, livré à lui-même.

Pierre Melville : Mon personnage s’appelle Molo, qui est un itinérant qui a eu du plaisir dans sa vie, il a connu de nombreuses femmes, il jouait de la musique. Là, ça va moins bien, car il est malade. Il rencontre Angel sous un pont et il se lie d’amitié avec cette personne non binaire parce qu’il a besoin de quelqu’un pour s’occuper de lui malade et cela devient une amitié formidable entre les deux. C’est un beau personnage, un beau vivant qui respecte la différence. C’est une personne qui a peur de la solitude et qui ne veut pas être seule, car il a cette nécessité de parler avec quelqu’un, de partager ses problèmes et vice-versa. J’aime bien l’amitié avec Angel et c’est un beau message, pas moralisateur, pas fait au crayon gras, notamment dans une ère où on voit le contraire, le refus de l’autre.

Je trouve qu’à travers chaque personnage, ils ressentent le rejet que leur fait comprendre la société, ils ont eu des difficultés dans leur vie, mais dans ce lieu, il y a de l’entraide et de l’espoir. Louise Archambault instille à merveille ses visions.

Souley Keïta : Je voudrais que l’on mette l’emphase sur de nombreux jeunes, qui directement après leurs 18 ans et après avoir écumé les familles d’accueil, se retrouvent comme le personnage de Sébast à la rue.

Justin Leyrolles-Bouchard : C’est ce qui fait la force de ce film notamment lorsqu’il dépeint différents portraits de l’itinérant et sans tomber dans le misérabilisme. Il y a trois jeunes dans le filmil y a Cédric qui joue Julien, un immigrant du Congo, il y a Océane qui joue Miali, une fille autochtone, puis mon personnage Sébastien. Ce que je trouve intéressant dans ce film, c’est qu’il n’est pas une caricature comme on peut le voir dans des séries ou des films dans d’autres pays, ce jeune qui prend de la drogue et qui mène la vie difficile, en étant rough. Ce qui est accrochant dans l’histoire livrée par la scénariste Marie Vien, elle casse les mythes, Sébast, qui malgré tout ce qu’il a vécu, reste humble, généreux et bienveillant malgré un passé sombre, malgré la peur de l’abandon qui peut l’ankyloser. J’ai l’impression que c’est un personnage qui m’a habité longuement. Il y a également la trame avec Miali qui est influencé par cela aussi, car toutes les relations qu’il a eues, avec les parents de la DPJ et les changements récurrents, ont initié une peur constante de l’abandon.

Souley Keïta : Un film à clivage, un film pour mettre à mal les oppositions. Tout le monde pense à tort de tout le monde, est-ce que Le temps d’un été, pour ton personnage, Justin, c’est apprendre à se connaître en se posant enfin les vraies questions? Et pour toi, Pierre, est-ce c’est réapprendre à être pour devenir en se donnant des étapes dans sa vie?

Pierre Melville : Il y a de l’espoir avec des choses qui peuvent changer. J’ai assisté au changement d’une personne itinérante avec cette phrase, sans doute un peu cliché, qui dit que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Oui, il peut arriver quelque chose, oui il peut y avoir une rencontre qui change une vie et c’est possible.

Justin Leyrolles-Bouchard : C’est un film, pour moi, où on confronte et on défit les clichés, car on veut montrer une réalité qui existe. Je pense que les gens vont ressortir de ce film plus clément et moins influencé par leurs préjugés. Il y a des biais, tout le monde est passé dans la rue en ignorant un itinérant et en ne le regardant pas alors qu’il peut être tellement de choses, un père de famille qui a perdu son emploi, un ancien militaire qui a sacrifié sa vie comme Sam dans le film et qui se retrouve à la rue avec des images terribles dans la tête. Un immigré qui a des études, mais qui est rejeté, etc. Ça peut être n’importe qui et arriver à tout le monde.

C’est un film qui fait du bien et qui je l’espère poussera les gens, lorsqu’ils croiseront une personne à la rue à ne pas la  juger, car au bout du compte cela pourrait être un fils, une mère, un ami du primaire dont on a plus de nouvelles.

Souley Keïta : On a une phrase qui va joindre ton personnage, mais également les autres personnages dans cette nécessité d’être prêt à s’écouter et à écouter, j’aimerais t’entendre sur cette phrase qui anime ton personnage.

Pierre Melville : Et ce n’est pas toujours facile. Juste pour exemple, je traverse le pont et il y a des itinérants et souvent les automobilistes ne les regardent pas, alors que le simple fait de regarder, même si on n’a pas d’argent, peut donner une considération et change tout. Je pense qu’il faut considérer l’autre, c’est facile d’avoir et de construire des préjugés, dès l’enfance nous en sommes nourris. Il faut les démolir et c’est un travail de tous les jours, malheureusement plus tu vieillis et plus tes défauts s’accentuent donc il faut travailler plus fort. Il faut apprendre à s’écouter, peu importe les conditions, les personnes rencontrées.

Souley Keïta : On a pu décrire le film ici et là, dans le genre trop commun du feel good movie, alors que c’est un film plus élaboré dans le genre du mélodrame. Lorsqu’on regarde chaque personnage, il y a des réussites et des échecs, des compréhensions et des incompréhensions, ton personnage de Sébast perd la seule chose qui l’a animé, lui a permis d’exister le temps d’un été. Pourtant, il y a l’échec de Marc qui peine à comprendre que les mots ne soignent pas souvent, peux-tu nous en dire plus.

Justin Leyrolles-Bouchard : Chaque personnage est atteint d’un enjeu ou de plusieurs enjeux et c’est cela qui rend ce film intéressant. Je pense que mon personnage vivait avant le début du film de nombreux échecs. Je pense que sa possible réussite, il le vit avec Miali et malgré tout cela, il va en tirer une leçon en grandissant au travers de cette histoire. Un échec peut te rendre plus fort, c’est un élément qui me guide dans ma vie, car on est sans cesse en apprentissage. J’imagine bien une vie différente après ce film pour Sébast. D’ailleurs, nous avons eu des scènes de fin tournées en individuel, où on nous voyait dans notre quotidien quelques mots après, cela n’a pas été mis dans le montage final. Mon personnage retourné à l’école, Angel se mettait à chanter dans des cabarets, mais ce qui est fun avec la fin que les spectateurs vont voir, c’est que c’est une fin ouverte. Je suis convaincu que c’est un film qui reste avec toi et que les gens vont avoir un regard autre, car c’est une réalité qui n’est pas souvent dépeinte. Louise fait un travail formidable tout comme Marie Vien qui veut mettre à mal les préjugés et qui relate ses expériences de bénévolat à La Maison du Père.

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