Le parterre devant l’Hôtel de Ville a toujours eu pour moi un petit quelque chose de nostalgique : c’est un lieu où j’ai fumé ma première clope — et me suis fait surprendre par mon père — c’est aussi un lieu où j’ai beaucoup traîné avec des ami·e·s quand j’étais ado, où j’ai piqueniqué l’été, puis où j’ai manifesté ou été en date.
Devant le Faro, je regarde les bâtiments en briques et en pierres du centre-ville et me disant que la Wellington Nord a été témoin de nombreuses folies de ma part. Dans la toponymie de mes amours, c’est la rue qui compte le plus grand nombre d’histoires.
Par exemple, dans cet immeuble au coin là-bas, j’ai vécu ma première fois avec mon premier amour : on n’était vraiment pas bons et hyper nerveux, mais ça me fait toujours un peu sourire d’y repenser. Il paraît qu’il est rendu marié, avec une maison quelque part dans une banlieue poche et des enfants.
Dans cet autre édifice, j’ai suivi le coloc d’une amie après une soirée de fin de session de cégep très arrosée. On ne s’est plus jamais reparlé après, puis il s’arrangeait toujours pour être absent quand j’allais voir cette amie chez elle. Dans ce troisième édifice, un peu moins bien entretenu que les deux autres — et où il doit bien vivre un ou deux dealers — j’y ai entretenu une relation d’amour passionnelle et impossible avec un amant qui m’a fait beaucoup pleurer.
Dans un rayon d’une cinquantaine de mètres, que j’arrive à voir en étant entièrement affalée dans une talle de gazon, je constate que les aventures que j’ai vécues sont multiples et diversifiées, puis pas seulement que romantiques.
En effet, il y a cet ancien café qui a fermé et qui distribuait à l’époque de grosses lettres en bois aux tables pour désigner les commandes des clients. On nous avait assigné à une amie et moi la lettre « D ». Comme deux gamines, puis à coups de « pas game », on avait fini pas voler le gros « D », qui trône désormais fièrement dans ma bibliothèque et qui initie bien des conversations.
C’est aussi une rue qui m’a vue grandir et prendre en maturité. Je suis passée de l’étudiante un peu légère et qui enchaîne les dates à la jeune professionnelle plus rangée et qui cherche à gagner en stabilité émotionnelle. Ma fibre militante est toujours bien présente, mais elle s’est transformée.
J’y ai aussi appris à me respecter et à me faire respecter : je suis désormais capable de dire non et d’écourter un rendez-vous qui ne se passe pas comme prévu. Avant, je subissais jusqu’à la fin, alors que je suis désormais capable de désormais finir mon verre d’un trait, d’annoncer que ça ne fonctionnera pas, puis de m’en aller. Ça fait moins de matériel croustillant pour écrire un roman-feuilleton, mais j’ai l’impression que c’est un fonctionnement plus respectueux de moi et des autres.
Avec le soleil dans le dos et les pieds dans le gazon, je me rejoue le film des dernières années avec reconnaissance. À mes côtés se trouve quelqu’un qui me donne envie de ne plus me lancer dans d’autres rendez-vous ou d’aventures manquées, sans non plus m’obliger à m’oublier pour devenir fusionnelle et dévouée à une seule personne.
En rétrospective, ça aura été une belle aventure que d’écrire mes péripéties mensuelles. Merci de m’avoir accompagnée pour ce bout de chemin.
Comme dirait René, « à la prochaine fois ».