Le 6 avril 2023, l’avocat et analyste géopolitique canadien Dimitri Lascaris, en mission de paix en Russie, a fait une présentation à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou, la principale université russe pour l’étude des affaires internationales. On peut y assister sur You Tube.
Qui est Dimitri Lascaris ? Après avoir gradué à la Faculté de droit de l’Université de Toronto en 1991 et avoir travaillé à Wall Street, il est nommé en 2012 par le Canadian Lawyer Magazine comme l’un des 25 avocats les plus influents au Canada, et en 2013, par le Canadian Business Magazine comme l’une des 50 personnes les plus influentes dans le monde des affaires au Canada en le décrivant comme « le plus féroce défenseur des droits des actionnaires ». Sa candidature à la chefferie du Parti Vert en 2020 est torpillée par l’establishment conservateur du parti au profit de la désastreuse Annamie Paul.
« Deux jours après le lancement de l’invasion russe de l’Ukraine, j’ai rédigé un article sur l’invasion et l’ai publié sur mon site Web. L’article s’intitulait « L’art de la paix nous oblige à voir le monde à travers les yeux de nos ennemis », explique-t-il.
Le 18 mars 2023, il explique à the Hamilton Coalition to Stop the War, une association avec laquelle les Artistes pour la Paix entretiennent un dialogue fructueux, avec Ken Stone notamment, les raisons pour lesquelles il tenait à voyager en Russie comme l’a fait Tamara Lorincz : mieux connaître « l’ennemi » dont il découvre les motivations d’agir et ce pourquoi le Canada devrait avoir le droit et le devoir de ne pas poursuivre la guerre actuelle.
« Bien sûr, l’Ukraine a le droit de se défendre, comme tous les États souverains, mais avoir le droit légitime de poursuivre une certaine ligne de conduite ne signifie pas nécessairement que la poursuite de cette ligne de conduite est dans son intérêt. Si l’exercice d’un droit est susceptible d’entraîner la destruction de son pays, alors la ligne de conduite humaine et rationnelle consiste à rechercher un compromis avec l’ennemi plutôt que d’insister sur le plein exercice de son droit légitime.
Et c’est ainsi avec la guerre. En effet, les coûts, les horreurs et les dangers de la guerre sont si extrêmes que la logique du compromis est encore plus convaincante dans le contexte militaire que dans le contexte judiciaire. Cela est particulièrement vrai lorsque les combattants possèdent la capacité de détruire le monde plusieurs fois, comme l’ont l’OTAN et la Russie. Dans de telles circonstances, la logique du compromis est écrasante. Dans une guerre entre puissances nucléaires, le refus de compromis est potentiellement suicidaire pour toute l’humanité. Dans ce contexte, le refus même de tenter une résolution négociée est un péché impardonnable. »
Cette dernière phrase devrait constituer la principale réflexion du gouvernement Trudeau, qui poursuit malgré toute logique, sa politique guerrière réaffirmée par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, à qui nous persistons à écrire régulièrement.
Le sujet principal de la présentation du Montréalais en Russie était la soumission habituelle du gouvernement canadien face aux agressions américaines. Le bilan des votes du Canada à la session actuelle de l’Assemblée des Nations unies montre que sur les 84 dernières résolutions de l’ONU, le Canada a voté 62 fois comme les États-Unis, Israël étant championne avec 70 fois, alors que la moyenne des états africains se situe dans la vingtaine ! La non-réponse aux crimes de guerre commis par des responsables américains et son acquiescement à la récente admission de la Finlande à l’OTAN révèlent chez Bob Rae, notre ambassadeur à l’ONU, une tendance inquiétante à adhérer au programme hégémonique des États-Unis. Nos médias et lui démonisent la Russie et la déclarent isolée, alors que les propositions russes à l’ONU sont beaucoup plus appuyées par des votes nombreux que celles des États-Unis. Incidemment, ce sont les propositions chinoises qui sont les plus appuyées, et ce sera une information que les Artistes pour la Paix seront heureux de rapporter à M. David Johnston, si on nous permet de témoigner sur l’influence chinoise moins illégitime qu’il n’y paraît auprès de nos députés.
À une question posée de la salle, M. Lascaris a répondu courageusement que pour lui, spécialiste des affaires internationales, la Russie, malgré les agressions ukrainiennes contre les provinces autonomes du Donetsk et du Lougansk (étaient-elles vraiment des états souverains, comme la Russie a plaidé ?), est considérée, avec une certaine légitimité, responsable d’avoir initié la guerre, comme hélas les États-Unis auraient dû l’être pour leurs agressions en Iraq et même en Libye et en Syrie, a-t-il ajouté. La Russie aurait-elle été en droit, comme alternative, de soumettre la question au Conseil de sécurité de l’ONU ? Devant les atrocités commises par le gouvernement ukrainien sur le Donbas, il concède qu’on peut évoquer des raisons morales pour la Russie d’être intervenue, mais la raison juridique est différente.
Enfin, à une question de l’auditoire étonné de sa position si éloignée de la politique canadienne (sans doute sous-jacente de sa liberté à l’exprimer), il remonte les antécédents de sa position politique à d’abord ses racines familiales d’émigrants très modestes et peu instruits venus de Grèce, ensuite de la lecture du livre de Noam Chomsky Manufacturing consent qui lui a ouvert les yeux sur la duplicité de son propre gouvernement et de celle des États-Unis dont la puissance nucléaire est une horreur partagée par l’OTAN, a-t-il conclut sa présentation.