La rue London, c’est l’une des rues les plus féériques que je connaisse à Sherbrooke quand vient la première neige et que s’approche le temps des fêtes.
Au cœur du Vieux-Nord, parsemé de cossues maisons patrimoniales joliment décorées, se trouve une espèce de village gaulois résistant à l’embourgeoisement environnant par ses projets coopératifs et solidaires. Une amie d’enfance y a longtemps loué un appartement centenaire, où l’on s’enroulait dans une doudou sur le balcon jusqu’à tard dans la saison pour boire un café et regarder la vie qui se jouait autour.
Avec un autre ami de longue date, on a développé un jeu — ou une sorte de compétition — à travers les années : trouver les décorations les plus saugrenues qui soient, puis se les montrer, ponctué d’un « Oh, wow ! » bien sarcastique. Parfois, on accordait une mention spéciale — et pour une rare fois, non sarcastique — aux crinqués de Noël, comme pour la maison sur la rue Carl (vous savez laquelle). Toutefois, plus souvent qu’autrement, c’était simplement pour rire. Ainsi, jusqu’à présent, ma décoration saugrenue préférée est une espèce de Père Noël vintage en plastique décoloré, accroché de travers à la va-vite (par le cou !) sur une corniche, à l’aide d’une quantité stupéfiante d’attaches en plastique. On était bien loin du bon chic bon genre des décorations bourgeoises du voisinage de la rue London.
Mais comment est née cette tradition festive qui perdure encore ?
Dans ma vie sentimentale, c’est que je crois avoir un talent bien spécial pour me faire crisser-là juste avant les Fêtes. Pas à chaque année, mais c’est arrivé souvent quand même. Assez pour que j’utilise le mois de décembre comme barème de longévité et d’engagement d’une relation. Mais pas assez pour que mes tantes ne cessent de me demander des nouvelles de l’amoureux·se au souper de famille et que je leur lance un regard plat, suivi d’un long silence malaisant.
Honnêtement, il s’agit d’un moindre mal. Je crois que je préfère ne pas étirer la sauce d’une relation à l’agonie, ni attendre à janvier pour qu’elle implose.
Pour en revenir à notre tradition farfelue, ce n’est pas cet état des faits qui l’a vue naître, mais cette réalité a néanmoins servi à la maintenir en vie jusqu’à aujourd’hui. Non, ce qui l’a vu naître et se cristalliser, ce sont des moments nettement plus difficiles : une séparation houleuse ponctuée de démarches judiciaires à n’en plus finir et un déménagement en catastrophe au beau milieu de l’hiver. Cette fois-là, ce n’est pas moi qui me faisais crisser-là. C’est plutôt moi qui crissais mon camp au péril de ma vie.
Dans ce joyeux contexte, j’ai été contente de pouvoir compter sur ces deux ami·e·s de longue date. Ils ont nettoyé mon appart, bougé mes meubles, peinturé les murs et installé de nouvelles serrures… D’ailleurs, ce dernier point est miraculeux, quand je repense au fait qu’un morceau de poigné est tombé dehors, et qu’on est restés coincé·e·s en dedans !
À ce moment, la plus précieuse des assistances qu’ils m’ont apportée n’est pourtant pas matérielle. Non, elle est plutôt dans cette frivole tradition, née d’un besoin de légèreté en des circonstances difficiles !
Depuis, elle revit à chaque hiver, avec un peu plus d’intensité les années où l’un de nous trois vit une chose difficile. Une fois, ça a permis d’occuper l’un·e de nous en arrêt de maladie, une autre fois, ça a permis de se changer les idées dans une période de deuil. En cette période des bilans, j’éprouve une reconnaissance particulière envers ces deux personnes précieuses et les souvenirs partagés via ce rituel festif.
Et vous, pour qui (ou quoi) êtes-vous reconnaissant·e ?
P.S. D’ailleurs, on serait bien reconnaissant·e·s si quelqu’un pouvait venir nous aider et enfin ouvrir la porte !